Un simple coup de téléphone et le cinéma d’horreur des années 90 s’est vu réinventé à un point où la pop culture ne s’en est jamais réellement remise. Il a suffi que Drew Barrymore réponde à l’appel d’un tueur masqué pour mieux donner du sang neuf à un genre considéré en désuétude. À l’aube de son quart de siècle et à l’approche d’un nouvel opus, il reste important de rappeler la réussite de Scream.

Le public retient généralement du long-métrage de Wes Craven sa scène d’ouverture cultissime, mais pourquoi ? On pourrait d’abord partir de la surprise qui se crée, le nom de Drew Barrymore étant assez connu à l’époque pour qu’on croie celle-ci héroïne du récit. Son sort amène une forme de stupeur par la rapidité du traitement, ce qui n’évacue pas une gestion réaliste qui rend le tout plus impactant encore. La tension grimpe de manière croissante, reprenant à son compte la légende urbaine de la personne appelée par une menace venant de l’intérieur avec un brio que l’on peut qualifier de magistral. Il en ressort une intelligence aussi bien dans l’écriture (cette fameuse réplique qui fait dévier le dialogue faussement innocent) que dans la mise en scène, gardant perpétuellement à l’œil Casey Becker pour mieux nous partager sa terreur et créer une empathie puissante.
Et là se dessine une des nombreuses richesses de Scream : son traitement de personnages esquivant le simple archétype pour mieux épaissir les protagonistes autour de leur concept. Cela passe notamment par une forme de brutalité dans sa nature graphique, rendant le spectacle plus difficile à voir lors de cette fameuse séquence d’ouverture. Wes Craven et Kevin Williamson nous obligent à accompagner Casey dans sa douleur, avec une forme de proximité qui terrifie par sa tangibilité. Le cri d’effroi de la mère de la malheureuse résonne encore face à la découverte de ce corps ouvert de l’intérieur, opposant envie du/de la spectateur·ice de se divertir et réalité de sa violence (ce que la suite explose encore plus dans sa propre scène d’ouverture).

Le drame derrière Sidney peut sembler à priori cliché mais apporte un semblant d’épaisseur, tout comme la caractérisation globale qui crée un lien avec tous ces personnages et ne nous faisant même plus nous inquiéter pour leur sort que nous interroger dans son (très bien mené) Whodunit. Il y a un réel apport affectif qui se dessine et permet d’éviter une facilité d’écriture dans laquelle tombent malheureusement de nombreuses copies sous-développées. Les personnages transcendent leur fonction, rendant leur drame plus impactant mais sans nécessairement nier toute forme de divertissement.
On a loué (et on continue de le faire) le film pour sa métatextualité, ancrant les protagonistes dans une forme de réalité proche de la nôtre par leur propre connaissance du cinéma d’horreur. Le personnage de Randy véhicule en particulier cet aspect, amenant le personnage du geek qui cherche à faire passer son apprentissage cinéphile comme moyen de survie, entre le ludisme et la crainte présente. Les tueurs eux-mêmes jouent de leurs propres connaissances, que ce soit pour piéger Casey au détour d’une question ou mieux s’inspirer, comme déclaré frontalement par l’un des personnages dans son climax. C’est cette connaissance commune entre personnages et spectateur·ices qui fait aussi bien le sel du film que de la licence entière.

Wes Craven prolonge quelques interrogations de son Freddy sort de la nuit par ce traitement méta en renfermant son horreur sur une communauté marquée par la mort de Casey. Cette notion de trauma parvient à s’ancrer pleinement dans la narration, amenant une forme d’émotion dans quelques plans mais surtout une réflexion du traitement de pareil événement sur une durée un peu plus appuyée dans sa temporalité. Les conséquences qui s’y dessinent s’avèrent passionnantes, en particulier sur la manière dont la terreur quasi paranoïaque envahit Woodsboro alors même que Sidney Prescott fait face à un autre trauma. Il s’y dresse le portrait d’une Amérique citadine qui se crée sans le vouloir ses propres légendes urbaines par le biais des médias et par l’impact dont l’horreur peut se répercuter sur tout un chacun.
Il s’en dégage une modernité thématique, évitant le rigolard trop facile dans ses références pour mieux dépeindre un postmodernisme passionnant mais non déshumanisé, ce dans quoi beaucoup de ses copies vont également se vautrer. Sa réécriture des codes se fait par le biais des attentes des spectateur·ices mais en esquivant un simplisme morne, notamment dans cette confrontation de l’audience connaissant les codes à ses propres inquiétudes. On pense à cette scène où Randy exhorte Jamie Lee Curtis à se retourner pour faire face à la menace de Michael Myers alors même que Ghostface s’approche de lui (scène d’autant plus truculente quand on sait que l’acteur qui l’incarne partage le même prénom). L’équilibre entre une forme de ludisme dans ses connaissances et son traitement et une réflexion par rapport à un propre sous-genre codifié à l’extrême s’avère d’un intérêt toujours aussi fort, et ce même après 25 ans d’existence.

On y voit même une approche d’une certaine masculinité destructrice dans son rapport aux autres, en particulier avec les femmes, par le traitement des tueurs. Les red flags entourant Billy Loomis et ce besoin de pousser son amoureuse traumatisée par la mort de sa mère à passer à l’acte sont d’autant plus flagrants par l’évolution des mœurs qui se créent encore de nos jours. On peut y voir un aspect annonciateur participant à la contemporanéité du long-métrage, ce que prolongent encore les autres opus. Le mal-aimé troisième révèle les abus autour de Maureen Prescott dans sa carrière d’actrice avec une saveur bien amère quand on sait la présence d’Harvey Weinstein en producteur délégué. Pour en revenir à l’opus original, ce besoin de traiter du corps de la femme par le jugement imposé à Sidney et sa mère (et en prolongation aux fameux·ses adolescent·es assassiné·es pour avoir eu des rapports) impose un nouveau regard qui rend la pertinence du film toujours aussi éclatante.
Après, on pourrait râler de l’ancrage de certains aspects purement 90’s (l’usage des téléphones portables) ou bien de l’impact qu’a eu le long-métrage sur toute une vague de films de genre qui s’ensuivent, mais ce serait aussi peu productif qu’inintéressant. Est-ce la faute de Wes Craven et Kevin Williamson si les titres qui ont tenté de suivre la même veine n’ont pas su déceler la subtilité d’écriture et de traitement d’une œuvre bien plus fine qu’il n’y paraît ? Absolument pas, surtout au vu des leçons d’écriture et de mise en scène qui se dessinent dans Scream, surtout au vu d’une direction tonale qui nécessite une force d’équilibre qui se maintient tout du long de la narration. N’en déplaise à ses détracteurs, pareil film dispose d’une telle richesse aussi bien d’un point de vue global que dans ses quelques détails (la possibilité de trouver qui a commis quel meurtre et quand, la façon d’amener par quelques points discrets certaines pistes). On comprend pourquoi de nombreux élèves ont tenté d’imiter leur professeur mais aussi pourquoi aucune copie n’a su recapturer l’éclair dans la bouteille comme Wes Craven.

Le culte autour de ce premier opus de Scream mérite que l’on s’y attarde encore et encore au vu de sa maîtrise d’ensemble et de l’amusement développé par son traitement métatextuel sans tomber dans de la référenciation creuse ou de l’attaque gratuite et dénuée de sens. C’est aussi bien une lettre d’amour au cinéma d’horreur à part entière qu’une réinvention rafraîchissante de ses codes, un spectacle popcornesque qu’une itération d’un partage de traumatisme d’un point de vue intime que dans une communauté resserrée et citadine, une œuvre aussi drôle qu’effrayante, géniale et passionnante, une vraie leçon de mise en scène et d’écriture comme on ne se lassera jamais de voir et revoir. Baissez donc la lumière, coupez vos téléphones, sortez votre pop-corn et profitez du spectacle car Scream s’avère toujours un trésor de cinéma sans doute indépassable dans son domaine.
Scream de Wes Craven Avec Neve Campbell, Courtney Cox, David Arquette,… 1h50.
Sorti le 16 juillet 1997
[…] Le passage de relais entre ancienne génération traumatisée et nouvelles victimes en devenir s’inscrit dans une forme de narration qui peut ne pas paraître originale. Un personnage exprime ouvertement le statut de Legacyquel du long-métrage, cette transmission de flambeau qui s’illustre par un raccord générationnel qui a su se montrer autant profitable thématiquement qu’économiquement (cf Le Réveil de la Force, SOS Fantômes l’Héritage,…). Les derniers opus d’ Halloween tentent de faire de même en parlant de trauma inscrit dans la communauté et la famille avec plus (l’opus de 2018) ou moins (Halloween Kills) de réussite. En ce sens, on peut se poser la question du traitement de certains personnages secondaires, mettant en exergue ce « défaut » relatif à tous les opus de la licence après la caractérisation impeccable du premier opus. […]