Paul Verhoeven n’est pas surnommé « Le Hollandais Violent » pour rien. Que ce soit pour ses critiques politiques très radicales et dénonciatrices dans La Chair Et Le Sang (1985), Robocop (1987) , Starship Troopers (1997), ou le caractère sulfureux volontairement provocateur de Basic Instinct (1992) et Showgirls (1995) – qui coûte encore plus à son casting -, le réalisateur est un paria aux États-Unis. Incompris et faussement accusé (de fascisme dans un cas, de perversion voyeuriste dans l’autre, soit exactement ce qu’il dénonce) à chacun de ses métrages, il ne peut plus y produire de films, et est contraint de rechercher des fonds en Europe, comme il le peut, sans perdre de son engagement – on l’aura vu récemment avec Elle (2016) -. Pourtant, il eut une carrière déjà bien pleine avant son arrivée dans le grand Hollywood, et s’était déjà fait remarquer au Pays-Bas.
Un réalisateur abonné aux sujets sensibles…
Avec Spetters, sorti en 1980, Paul Verhoeven a déjà préparé son avis d’extradition des Pays-Bas, sachant pertinemment que ses propos sur la libération sexuelle de la jeunesse déjà contestés et dénoncés dans Turkish Délices (1973) vont lui attirer les foudres. Ici, nous abordons un triangle amoureux dont l’épicentre se situe en la personne de Fientje, jeune femme tenant une friterie avec son frère, rêvant de succès et d’élévation sociale. Autour d’elle, trois jeunes hommes, passionnés de motocross, cherchant aussi à sortir de leur condition et à avancer dans la vie. Trois portraits bouleversés par leur rencontre avec Fientje, qui les amène à s’interroger sur les affres du succès, de la recherche du bonheur simple mais aussi de l’identité sexuelle.
Le film se construit en deux temps. Celui de la fin de l’adolescence, où tout va très vite et est représenté par les courses de motos, leur bruit incessant et les rivalités violentes qu’elles engendrent. Ces jeunes encore insouciant·es qui n’assument aucune responsabilité, pensent à s’éclater, tabasser celleux qui les révulsent moralement, picoler et baiser, et sont dans une spirale qui sera coupée net par un événement fort à l’écran : l’accident de Rien, alors favori de la compétition, qui lui coûte l’usage de ses jambes. On entame un âge adulte forcé, où le motard, ayant entamé sa relation avec Fientje, se voit rejeté par cette dernière du fait de son handicap et doit apprendre à accepter sa nouvelle condition pour trouver la paix. L’histoire se tourne vers ses deux acolytes, chacun convoitant la jeune fille, qui se retrouvent soumis à ses exigences pécuniaires.

…qui dresse des portraits juste malgré un ton choc
Si Fientje peut apparaître comme l’archétype de la fille superficielle, elle est avant tout une femme libre, allant aux avants de ses désirs, qui choisit de manipuler les garçons et ce qu’elle leur demande d’accomplir pour elle au même titre que ces derniers la manipulent pour obtenir du sexe. Point de vengeance maladive, mais au contraire une personne qui voit bien plus loin que les carcans sociaux pesant sur le reste des protagonistes, et compte les mener à bout pour les pousser dans ce qui leur permettrait réellement de s’épanouir (pour l’un d’eux, l’homosexualité). Là où ses choix personnels, qu’elle dissimule dans son double discours, vont vers l’équilibre et la simplicité au lieu de la luxure et du vice. Un portrait audacieux pour l’époque, voire encore pour aujourd’hui. Trois histoires qui en deviennent quatre lorsqu’elle devient la protagoniste principale du métrage, et qui sont avant tout des récits initiatiques sur cette jeunesse qui se recherche et ne peut s’épanouir dans une société où tout est tabou.
Pour contrer ces tabous, justement, Paul Verhoeven ne met aucune barrière dans ses visuels. On peut passer d’une scène où deux personnes se rejoignent dans une caravane à un cut brutal aboutissant sur la fin du coït, où le couple discute tranquillement pendant que la jeune femme caresse la bite de son amant, l’organe sexuel au centre du plan. Parce qu’après tout, pourquoi pas ? Le sexe est-il réellement une affaire de saleté, un interdit que pourtant tout le monde se permet lorsqu’il peut être représenté avec réalisme et simplicité ? Le cinéaste ne se cache évidemment pas du côté provocateur de ses choix, mais ces derniers servent son récit, et ne sont en rien gratuits.
Spetters est une oeuvre majeure dans la filmographie de Paul Verhoeven, celle de la “provocation ultime” qu’il se permet en sachant pertinemment où cela va le mener, et qu’il reproduit 15 ans plus tard dans un autre contexte. Un film qui parle de jeunesse comme jamais, du besoin d’indépendance et d’épanouissement, et de l’insouciance comme passage obligé pour vivre, se découvrir et connaître ses limites. Le film a été récemment réédité dans une belle version blu-ray non-censurée par BHQL, et vous auriez tort de vous en priver.
Spetters, de Paul Verhoeven. Avec Renée Soutendjik, Hans von Tongeren, Toon Agterberg…2h02.
Film de 1980, ressorti en blu-ray en septembre 2019.