Lorsque l’on mentionne la légende du roi Arthur, beaucoup de choses peuvent venir en tête : Camelot, Excalibur, la Table Ronde, la Dame du Lac et immanquablement, la légende du Chevalier Vert. Cette dernière nous introduit le chevalier Gauvain, probablement un des personnages arthuriens les plus connus de la légende et que le septième art ne s’est pas privé d’adapter à foison. Ainsi, plusieurs cinéastes se sont emparé·e·s de la légende de Gauvain (Gawain en version originale) dans leurs œuvres, sans compter les fois où le personnage apparaît dans d’autres films dédiés à l’univers de Camelot. Le problème se crée au fil du temps, lorsque le public se lasse de l’aventure qui lui plaisait tant, lorsque les cinéastes se contentent bêtement de reproduire une structure identique pour leurs films sans oser s’éloigner du schéma original. C’est dans ce contexte que David Lowery sort sa propre version de la légende du Chevalier Vert : The Green Knight.
Le postulat est ici identique à la légende : nous sommes à Camelot, le soir du réveillon de Noël et un chevalier tout de vert vêtu fait irruption parmi les convives en leur proposant un jeu. Il autorise un·e des invité·e·s à lui trancher la tête, si et seulement si, il peut lui rendre la pareil un an plus tard. Alors que tout le monde se tait, Gauvain se propose pour accomplir la macabre tâche et, dès que la tête du Chevalier Vert touche le sol, celui se relève et dit simplement avant de disparaître dans le blizzard : “one year hence”, “d’ici un an”.
Les changements commencent à s’opérer dans le film dès que l’on nous présente le personnage de Gauvain. Dans la légende, c’est un des plus vieux et fidèles compagnons d’Arthur, le chevalier le plus accompli qu’il soit (du moins, jusqu’à ce que Lancelot arrive). Chez Lowery, Gauvain est le neveu d’Arthur, fils de sa demi-sœur la fée Morgane, ce qui place déjà Arthur en figure paternelle chez le jeune homme. Gauvain est jeune, fougueux, enchaînant les conquêtes et désireux de faire ses preuves. Le choix de la jeunesse peut paraître anodin, mais il ajoute une toute autre dimension à la quête de Gauvain. Le/la spectateur·ice assiste au récit d’initiation non pas d’un chevalier à la recherche de la perfection morale, mais d’un garçon accomplissant sa destinée et devenant un homme sans le vouloir vraiment. Comme tout garçon, il commet des erreurs, se laisse séduire et tenter quitte à tomber dans des pièges qu’il aurait parfois pu facilement éviter. Tout cela ajoute une part d’humanité touchante tout à fait nouvelle au personnage de Gauvain, auquel le/la spectateur·ice s’identifie plus facilement.
Face à cette vision d’un Camelot délabré, d’un Arthur vieillissant et de toutes ces légendes d’un autre temps, Lowery exprime une réflexion plutôt sévère autour de la recherche constante de la gloire. Il montre au/à la spectateur·ice que la gloire est éphémère et égoïste, à l’image de ces chevaliers plus enclins à acquérir une renommée plutôt qu’à protéger les innocent·e·s, ce qui est pourtant leur mission. Gauvain part dans sa quête aveuglé par la perspective de la gloire qui l’attend au retour sans comprendre que tout ce voyage, en plus de le transformer en homme, doit lui apprendre ce qui a réellement manqué à Arthur et ses chevaliers : l’humilité. Savoir que l’on est fort, mais risquer sa vie au nom de l’honneur, acquérir les qualités dignes d’un roi, sans pour autant vouloir la couronne.
Comme attendu chez un cinéaste comme David Lowery (à l’origine tout de même du splendide A Ghost Story en 2017), la réalisation est maîtrisée de bout en bout. On nous offre ici de longs plans en travelling ainsi que plusieurs plans larges lors de la quête de Gauvain, ce qui accentue sa solitude dans cette épreuve. La photographie est également sublime et le réalisateur choisit ici d’insérer énormément de symbolismes dans ses images dont beaucoup tournent, évidemment, autour de la couleur verte. On exprime à travers l’image la dualité de cette couleur : le Vert, la couleur de la Nature, des choses vivantes, de la vie elle-même, mais également de la pourriture. Au vert est opposé le rouge, couleur du désir et de la passion dévorante. “Le vert est ce qu’il reste quand la passion meurt”, dira le personnage d’Alicia Vikander dans un monologue magnifique.
L’autre point positif du film est le casting. Chaque acteur·ice, qu’iel soit secondaire ou principal·e, offre ici une grande performance, à commencer par Dev Patel qui s’approprie totalement le rôle de Gauvain et qui donne vie à chacune des facettes du personnage. Les acteur·ice·s secondaires n’en sont pas en reste ; Alicia Vikander brille dans chacune de ses scènes, Barry Keoghan étonne dans un rôle ambiguë et la jeune Erin Kellyman (vue récemment dans en antagoniste principale dans The Falcon and The Winter Soldier) réussit à marquer malgré une apparition pour le moins anecdotique.

Malgré ses nombreux points positifs, le film n’est pas exempt de défauts, à commencer par la complexité de son scénario. Cette partie-ci est à double tranchant. Les connaisseur·se·s des subtilités de la légende du Chevalier Vert apprécieront sans aucun doute le film à sa juste valeur mais beaucoup qui n’ont pas cette chance resteront totalement en dehors. Le film se veut très “niche”, peut-être trop à certains moments et cela n’est pas à son avantage. Le film est également tiré en longueur sur certaines parties, ce qui perdra les spectateur·ice·s les moins assidu·e·s et possède un ventre mou d’une grosse dizaine de minutes en plein milieu du récit qui, certes, est nécessaire à la quête de Gauvain, mais prend beaucoup trop son temps pour garder l’attention complète des spectateur·ice·s.
The Green Knight de David Lowery est probablement l’une des adaptations d’une légende arthurienne la plus réussie depuis des années. Le réalisateur parvient à réinventer le sens original de l’histoire en ne changeant que quelques détails seulement. L’œuvre est maîtrisée de bout en bout mais ne fera malgré tout pas l’unanimité de par son histoire trop fermée à une bonne compréhension chez l’ensemble du public.
The Green Knight de David Lowery. Avec Dev Patel, Alicia Vikander, Barry Keoghan… 2h10