Eiffel : L’une marque, l’autre pas.

En observant cette tour qui surplombe la ville parisienne, on s’interroge : pourquoi plus de 120 ans après l’Exposition Universelle de 1889, et alors que nous aimons glorifier les figures emblématiques de l’Histoire, n’avons-nous consacré une œuvre de cinéma à Gustave Eiffel ? Quelques documentaires qui ont afflué à partir des années 2000, deux-trois citations dans des œuvres de pop-culture – encore qu’il n’y ait pas grande fierté à être cité dans Men In Black International –, mais au-delà de ça, le célèbre constructeur s’est vu ignoré du grand écran. Cela dit, la dernière fois que l’on s’est posé cette question, c’était concernant De Gaulle. Et on a eu le navet qu’on méritait. Des fois, il vaut mieux laisser les icônes au fond du placard à souvenirs.

Quand on pense Eiffel, on pense grandiloquence. On imagine les difficultés qui entourent le projet, entre l’ambition démesurée d’un édifice totalement inédit, et le combat d’un créateur contre toute une époque, des ouvriers aux financiers. On comprend surtout qu’utilisant des techniques novatrices, voire inédites, pour son temps, la tour a fait l’objet d’un travail minutieux, où chaque élément mal emboîté peut faire s’effondrer le rêve d’une vie. On s’imagine déjà la reproduction d’une telle minutie par un travail de la caméra idéal, des plans millimétrés qui offrent des cadres soigneusement composés. Nos relents du sublime Michel-Ange surviennent, nous rappelant que la maestria de l’artiste s’accompagne d’un·e artificier·e qui en a compris l’essence, et sait la retranscrire avec le même soin. C’était sans compter sur Martin Bourboulon, qui semble plus déterminé à tourner un péplum épique qu’un film d’artisan.

Deux univers qui ne sont pas incompatibles, tant les plans vertigineux sur une telle tour peuvent être bienvenus, mais qui doivent avant tout démontrer du travail d’orfèvre arpenté par Eiffel et ses ouvriers. Ici, la mise en scène veut jouer sur le spectaculaire, une caméra qui tourne autour de l’édifice à pleine vitesse pour donner une impression de rythme constant, et qui oublie d’une part la minutie et l’imbriquement des pièces qui ne se faisait pas un en clignement de paupière, de l’autre la composition de plans qui préfèrent se concentrer sur les costumes des acteur·ice·s que sur un travail de cadre. Pourtant l’époque est là. S’ils sont moins denses que ceux d’un Empereur de Paris, on sent que le département décor a fait de son mieux pour offrir un semblant du Paris fin XIXe, qui reste quasiment dans le flou tout du long. Sur son aspect « construction », Eiffel se plante, manque d’insérer ses écrous avec panache, et préfère montrer Romain Duris qui grimpe, vaillant, au deuxième étage, histoire de faire des grands discours. Ce qui en vient au second point, abordant l’autre problème du film : son casting, et le dessein toujours aussi malsain qu’encourage le couple.

On voit déjà Yann Moix se palucher. Emma Mackey, 25 ans, au bras de Romain Duris, 47. 22 années qui les séparent là où le couple originel n’en avait que 10. Difficile de caster une actrice de 37 ans pour faire bander les trois vieux du fond qui se sont déplacés pour l’occasion ? Et encore, couple est un bien grand mot lorsque l’on sait que l’idée du scénario est sortie de nulle part, que la romance que l’on y voit est basée sur des bruits de couloirs, que tout est brodé autour et, surtout, que tout est basé sur le scandale qu’une telle aventure aurait pu générer (celui du potentiel adultère, la différence d’âge n’étant jamais remise en cause, si ce n’est dans les flash backs très gênants). Qu’est-ce qui empêchait d’inventer un personnage de toutes pièces et de ne pas jouer cette éternelle ritournelle du fantasme adolescent ? Mais vu que beaucoup n’y voient pas de problème, et considèrent cela comme du chipotage, admettons, le temps d’un instant, et imaginons que cette tare n’est pas là. L’alchimie entre les deux comédien·ne·s ne fonctionne jamais, tant due au fait que l’écriture des personnages et de leurs dialogues coche avec fainéantise les cases de la comédie romantique premier prix, qu’au jeu du couple, bien à la ramasse. Blâmer la direction d’acteur·ice ? On essaie plus souvent de se souvenir des rares fois où Romain Duris a proposé quelque chose d’intéressant, notamment quand il nous ressort son énième partition de dandy ténébreux un peu bohème, légèrement ricaneur, qui pue le mépris par tous les pores. Emma Mackey, quant à elle, prouve que Bourboulon est probablement complice de la déchéance, tant elle ne parvient à ne rien émouvoir par sa prestation. Reste un pauvret Pierre Deladonchamps qui parvient à peine à être crédible malgré la tristesse de ses répliques, et qui se retrouve vite happé dans le fond de vacuité.

Eiffel tente donc de se la jouer épique, de faire pleurer comme les grandes romances de Claude Lelouch, et compte sur son duo pour apporter le rêve. Il en oublie d’écrire son histoire, de ne pas laisser ses comédien·ne·s n’en faire qu’à leur tête, et surtout, l’enjeu d’une telle bataille. Cette tour, que l’on sait érigée, on ne craint jamais pour elle, on ne se demande jamais quels obstacles ont entaché sa construction, l’ont mise en péril, on n’a rien à raconter autour. L’important qui nous est rabâché est de savoir si les deux drôles vont terminer ensemble à la fin, alors qu’on s’en fout. À défaut de ne savoir mélanger les deux genres qu’il entreprend, Martin Bourboulon ne parvient même pas à soigner au moins l’un d’eux pour nous donner de la consistance.

Triste de voir une fois encore un tel gâchis d’un budget bien trop conséquent face au rendu final. Eiffel est vain, s’oublie aussi vite qu’il a été conçu, et ses années de gestation ne lui ont offert aucune lettre de noblesse. Le tout est ronflant, pénible à supporter, et prétend s’ériger dans une lignée prétentieuse. Heureusement pour nous, cette année, le cinéma français est celui de l’intime, du genre, et peut se permettre un four abyssal tant il a déjà beaucoup offert.

Eiffel, de Martin Bourboulon. Avec Roman Duris, Emma Mackey, Pierre Deladonchamps… 1h49
Sortie le 25 août 2021

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