Certains films ne se remettent jamais véritablement de leur échec en salles. Dans le meilleur des cas, il ne trouvent pas leur public lors de sa sortie, et se rattrapent en vidéo. Mais il existe des films tout simplement sabordés de l’intérieur par un studio ou un distributeur faisant en sorte qu’on les oublie. Total Western fait hélas partie de cette deuxième catégorie.
Au départ, il y a pourtant tout pour faire un succès. Un réalisateur expérimenté et récompensé d’un César du Meilleur premier film (Éric Rochant pour Un monde sans pitié, à qui l’on doit également l’excellent Les Patriotes), un ancien dialoguiste chez Canal + au scénario (Laurent Chalumeau), un jeune acteur remarqué et tout juste nommé pour le César du Meilleur espoir masculin (Samuel Le Bihan). Tout est réuni pour renouer avec le grand cinéma populaire français tel que l’a immortalisé Henri Verneuil (La Bataille de San Sebastian est une référence du réalisateur). Hélas le distributeur UGC, effrayé par le film monté, décide purement et simplement d’arrêter le plan de communication. L’équipe n’a ainsi pu faire aucune promo dans les médias, seules l’affiche prévisionnelle et la première bande annonce ont pu être montrées.
Le film est finalement distribué en catimini dans quelques salles sans aucune visibilité. Une situation au goût amer pour le scénariste Laurent Chalumeau : « Les gens de la distribution avaient honte du film. Mais alors très vivement. Ils se sont même demandés s’ils allaient le sortir, tout court ! Ils étaient gênés par l’hémoglobine, le scabreux de certaines situations. Pour le coup, je trouve ça un peu puritain. Si on piochait dans la filmographie des mêmes distributeurs, je pense qu’on trouverait des produits culturels bien plus vénéneux idéologiquement que ce brave Total Western. »1.
Pensé au départ par son scénariste comme une comédie d’action, le film bascule vers le western violent avec l’arrivée d’Éric Rochant sur le projet (Alain Rocca, producteur du film, fait lire une première version du script au réalisateur). On y suit Gérard Bédécarax (Samuel Le Bihan), ancien détenu travaillant pour un gangster parisien. Après un deal qui tourne au carnage, Bédé part se planquer dans un centre pour jeunes délinquants de l’Aveyron, se faisant passer pour un éducateur, alors que le truand Ludo Daes (Jean-Pierre Kalfon) le recherche pour récupérer son argent.
Brassant de multiples genres (action, polar, western, comédie), le film se scinde clairement en deux parties bien distinctes. Une première partie qui pose les personnages, les enjeux et le lieu principal de l’intrigue. L’aspect comique y prend le dessus dans la présence de ces délinquants au milieu de la campagne française (avec ses fermiers, agriculteurs, anciens chefs militaires d’extrême-droite et joueurs de paintball du dimanche). La seconde, qui débute lorsque les truands débarquent dans le lieu principal, transforme le film en un pur western ultra-violent comme le cinéma français est ponctuellement capable de nous en offrir. On pense notamment à l’excellent Canicule d’Yves Boisset, polar teinté de cinéma bis où Lee Marvin, le gangster américain classieux, rencontre Jean Carmet le campagnard (soit Les Douze Salopards contre La Soupe au Choux).
Le décalage ici s’effectue à travers ces délinquants se fantasmant caïds (voir la scène où Aziz s’imagine en prison) face à de véritables gangsters n’hésitant pas à tuer quiconque se situe en travers de leur route, et torturant leur adversaire avec un sadisme assumé (ce qui est « autre chose que de cramer des bagnoles »). Un décalage assumé jusqu’au bout par le film, qui oscille entre son humour (les dialogues fleuris sont savoureux) et sa violence radicale. Une manière pour le scénariste de détendre le spectateur avant de lui asséner un coup violent derrière la tête, mais aussi de faire évoluer ses personnages, dont on découvre progressivement le courage, la solidarité l’intelligence, la débrouillardise et l’esprit de groupe (risquant leur vie pour sauver leur camarade blessé par balle).
Une évolution visible uniquement à travers les actions des personnages. C’est en cela que Rochant et Chalumeau ont compris ce qui faisait l’essence d’un film d’action, à savoir le mot « action » au sens humain plutôt qu’au sens spectaculaire. Ce qui n’empêche pas le réalisateur de faire de son film dans sa seconde partie un véritable affrontement de western, la ferme remplaçant la ville du far west pour des séquences privilégiant la tension, la violence et même l’humour. Face au déséquilibre des forces, les uns étant armés jusqu’aux dents pendant que les autres sont à poil, le réalisateur met à profit l’intelligence et la débrouillardise des personnages (utilisant tous types d’objets pour venir à bout de leurs ennemis) pour des séquences ne se limitant pas à des échanges de coups de feu.
Des scènes d’action mises en scène avec précision par son réalisateur qui privilégie le steadycam à la caméra à l’épaule, rendant l’action précise et toujours lisible tout en étant suffisamment dynamique. Mise en scène sublimée par un scope magnifique, mettant en valeur les superbes paysages et évoquant sans détour les films de Sergio Leone (appuyée par la musique de Marco Prince, ancien membre de la FFF et interprète de l’un des hommes de main de Daes), pendant que la photographie de Vincenzo Marano fait ressentir par l’image la chaleur et l’oppression qui se dégage du film. Un film injustement passé inaperçu à sa sortie, qui mérite aujourd’hui d’être découvert et apprécié à sa juste valeur, à la fois fun, intelligent, techniquement propre et porté par un Jean-Pierre Kalfon impérial en gangster aux répliques délicieuses. Les bons films finissent toujours par trouver leur public, espérons que ce soit le cas pour Total Western.
1. Interview pour DVD Vision – https://www.dailymotion.com/video/x300gv
Total Western, d’Éric Rochant. Avec Samuel Le Bihan, Jean-Pierre Kalfon, Kahena Saighi… 1h41.
Sorti le 5 Juillet 2000.