Un enfant court dans les rues d’un village Sicilien. Il crie, il répète à tue-tête une phrase qui sonne comme la cloche funeste d’une tragédie grecque. “Le prêtre est mort”. C’est avec cet enfant aux airs des grandes gueules des gamins du cinéma italien néo-réaliste que commence le film. Une ambiance crépusculaire saisit un décor presque figé. Amare Amaro est un merveilleux premier film, celui de Julien Paolini qui s’attaque à la réécriture d’Antigone de Sophocle.
L’exercice de réécriture est toujours un travail dangereux, particulièrement au cinéma où la transition est mésestimée. Trop proche ou trop éloigné du médium de base, il est en réalité question d’un exercice de chimiste que réussit Amare Amaro. Julien Paolini s’accapare l’île pour lui donner une aura qui amplifie cette sensation d’intemporalité que traverse le film. Le village vit et ne cesse de le montrer. Le réalisateur adapte les chœurs en créant des scénettes où des villageois échangent sur l’intrigue et les personnages. Le travail de la pellicule, ses couleurs et sa lumière dégagent une ambition d’esthétiser et de s’approprier l’oeuvre de Sophocle. Les longs plans d’Amare Amaro sont à l’origine de l’immersion prodigieuse et juste qui aide le film à s’affranchir du médium théâtral.
Le cinéma a également une grande importance dans les inspirations du film. On retrouve un intérêt en filigrane pour les westerns de Sergio Leone par la beauté esthétique du film et le choix des acteurs qui croquent leurs rôles à pleines dents. Celui d’Enza, maire et femme forte qui doit imposer son autorité auprès du jeune Gaetano pour préserver le calme et la paix dans le village éclate à l’écran. Le maréchal est quant à lui l’incarnation de l’ordre et doit répondre aux attentes d’Enza. L’alchimie de ces acteurs est sublimée à la caméra, et il est également appréciable d’observer une réelle profondeur dans le travail des personnages qui ne fonctionnent pas dans une logique manichéenne.

Mais la grande découverte de ce film est son personnage principal : Gaetano interprété par Syrus Shahidi. Personnage taciturne doué d’une grande sensibilité, il permet d’exprimer de la plus belle des manière le sujet intemporel du film : La double-identité. À la manière d’un Belmondo qui s’en va jouer en italien pour Mauro Bolognini dans Le mauvais chemin, Syrus Shahidi transcende son personnage. Le village ne les accepte jamais réellement, car ils sont avant tout des petits français. Cette peur de l’étranger qui transforme le frère de Gaetano en le plus grand des criminels amène la question de l’identité. On voit que Gaetano n’est jamais entièrement intégré. Cette idée de transgresser l’ordre établi pour faire enterrer son frère est une façon pour lui de prouver au village qu’il est bien Sicilien.
Amare Amaro est un premier film ingénieux qui nous offre une réécriture nécessaire et appliquée d’Antigone de Sophocle. Artisanal et passionné, ce premier long-métrage présage de belles choses pour la carrière du réalisateur.
Amare Amaro, de Julien Paolini. Avec Syrus Shahidi, Virginia Perroni, Celeste Casciaro…1h30.
Sortie le 19 février 2020