[CRITIQUE] Cette musique ne joue pour personne : Gros bras et beaux poèmes

Un film de Samuel Benchetrit, c’est la promesse d’un univers décalé, où les petits malfrats du peuple côtoient la grande aventure, parsemé d’effusions de dialogues toujours grandiloquents. Alors que le cinéaste multiplie les tentatives éloignées de sa zone de confort avec Asphalte et Chien, soumis aux diverses appréciations, il renoue dans Cette musique ne joue pour personne avec ses premières amours, les gangsters du dimanche, caïds au grand coeur, dont le charisme certain est à l’image de leur dévotion poétique.

Exit le rock’n’roll clinquant du duo conspirateur Trintignant/Cluzet de Janis et John, out la mafia italienne malmenée de Chez Gino, Benchetrit récupère ses compères malhabiles de J’ai toujours rêvé d’être un gangster, portraits de gus patauds, patibulaires, qui ont l’air d’être autant efficaces qu’ils ont un poil dans la main. Il sublime ces dockers, ces bandits épuisés par une vie éprouvante et dont la rage déborde. Un hommage tonitruant au cinéma des acteurs à gueule, dont les répliques sont calibrées pour être ressorties dans un PMU morbide, tard le soir, clope à la main, café rance dans le gosier.

Par son aspect choral, le film déballe sa narration décalée et joue de ses archétypes. On rit à gorge déployée devant François Damiens en chef de bande sanguinaire, qui déclame des poèmes à trois francs six sous parce qu’il est amoureux de la caissière du Super U du coin. Les portraits, soumis aux mêmes archétypes, dévoilent des rustres dont la violence est proportionnelle à leur humanité, leur besoin de ressentir, d’aimer. Les ruptures de ton sont nombreuses, et on ne peut qu’abdiquer devant un Bouli Lanners qui, après avoir étranglé sauvagement des adolescent·e·s qui refusent de venir à la boum de la fille de son patron, parle avec Joeystarr de sa recherche de paix intérieure, et de ces lectures philosophiques sur le sujet.

UGC Distribution

L’arc qui résume au mieux le film reste celui axé autour de Vanessa Paradis et Gustave Kervern. Envoyé pour retrouver de l’argent que le comptable des affaires mafieuses a substitué, Kervern rencontre, et s’entiche de Paradis. Elle qui pour pallier son morne quotidien et lutter contre son bégaiement s’improvise actrice amatrice l’entraîne, lui fait découvrir l’activité théâtrale où elle interprète Simone de Beauvoir. Premièrement par jalousie, le truand assassine les prétendants au rôle de Sartre, avant de se voir proposé la partition. Par cette métamorphose jouée, il diminue sa violence, et parvient à s’exprimer. Le film dresse deux thématiques, celles de ces truands qui recourent à la violence car ils ne parviennent à exprimer leurs passions et leurs faiblesses, et celle de ces femmes discrètes, qui sont réalité les meneuses de leurs consciences.

Tout comme la pièce de théâtre met l’émancipation sentimentale et sexuelle de Simone de Beauvoir au centre de son récit, jusqu’à faire dire à l’intégralité de la troupe masculine qu’ils veulent être femme, le film joue de ses sentiments qui ne sont apportés que par l’élément féminin. Des femmes que l’on ne voit que peu mais qui sont aussi fortes et faibles que leurs comparses masculins, bien que ce sont elles, par la narration, qui détiennent les clés des différents arcs qui nous sont présentés. Ces gueules cassées découvrent leurs beaux reflets par les yeux qui les observent et les comprennent.

Tout en exprimant son absurdité, et en conservant son ton tragi-comique tout du long, Benchetrit se joue de la complexité humaine, montre que derrière le plus bourru des caïds se cache un être qui cherche juste sa zone de confort. Chaque portrait devient touchant à sa manière, dans sa bêtise crasse, dans sa sincérité noble. En réalité, Cette musique joue pour tout le monde.

Cette musique ne joue pour personne, de Samuel Benchetrit. Avec Ramzy Bedia, Valeria Bruni-Tedeschi, Bruno Podalydès… 1h47

Sortie le 29 septembre 2021

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