Et si la surprise de cette rentrée était un road-movie avec Laure Calamy et un âne sur les pas de Stevenson ? Aussi incongru que cela puisse paraître, ce pari de Caroline Vignal semble remporté. Pour son second long-métrage, après vingt ans d’absence, la cinéaste revient avec cette comédie aussi légère que touchante. Un film petit en apparence pour un résultat grandiose.
Antoinette, institutrice parisienne, est éprise du père d’une de ses élèves, Vladimir, lequel est marié. Quand il annonce à sa maîtresse devoir partir une semaine dans les Cévennes avec sa petite famille, c’est comme un déclic et Antoinette choisit de faire de même, bien décidée à ne pas être éloignée de son bien-aimé. Seulement, il y a un hic. Pour emprunter le même chemin que Vladimir, elle prend un âne pour faire sa randonnée et aller de gîte en gîte. Cet âne, Patrick, n’est pas des plus simples à gérer, pourtant la relation qu’il va développer avec Antoinette va être des plus surprenantes. On a là sur le papier une comédie sympathique mais sans plus, portée par celle qui a enchaîné les seconds rôles avant d’obtenir son heure de gloire, Laure Calamy. En réalité, Caroline Vignal nous offre bien plus que cela.
Sous ces airs de légèreté estivale, Antoinette dans les Cévennes est un film aussi réjouissant que profond. La cinéaste part d’une situation classique pour livrer une exploration bucolique et existentielle, emprunte de poésie. À nouveau, difficile de ne pas faire le lien avec Rohmer, irriguant décidément grand nombre de films ces derniers temps, avec la participation de Marie Rivière. La muse du réalisateur intervient ici brièvement dans un rôle qui semble être un passage de flambeau de son personnage de Delphine du Rayon vert à celui d’Antoinette. Entre femmes paumées qui vont devoir errer pour se retrouver, elles se reconnaissent et leurs quelques échanges sont marqués par une mélancolie et une pureté frappantes. Car c’est davantage une psychanalyse et une quête de soi, accompagnées d’une réflexion sur l’amour – on peut aussi faire le lien avec Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, sorti le même jour -, qu’une romcom sur l’adultère.

Antoinette est attachante, tout en étant très pathétique, dès le départ avec sa déclaration d’amour déguisée lors de la fête de fin d’année scolaire. Elle est complètement perdue à cause de son amour qui l’aveugle, au point d’alterner entre le mignon et le ridicule, voire le gênant. C’est véritablement durant son aventure qu’elle va s’étoffer et nous faire tomber amoureux d’elle, et de son âne. Celui-ci catalyse les problèmes de la jeune femme et joue un rôle au croisement entre un ange gardien, un psy, un amant spirituel. L’évolution de la relation entre les deux, est presque une métaphore du rapport d’Antoinette aux hommes, particulièrement à Vladimir. Une fois qu’elle a donné toutes les informations à sa « bourrique de merde », qui agissent comme un carburant pour qu’elle avance, celle-ci, forte d’une certaine clairvoyance, voire omniscience, va jouer un rôle-clé dans la prise de conscience d’Antoinette qu’elle doit s’affirmer et vivre comme elle l’entend. Des braiments hilarants, bien que lourds de sens, de Patrick surgit progressivement une nouvelle femme. Lors de la randonnée avec la famille de son amant, durant laquelle l’épouse de ce dernier lui fait une révélation des plus étonnantes – et intéressantes tant cela amène à considérer l’amour sous un angle fort -, la course qui s’ensuit avec l’âne intervient comme une reconstitution de la vie sentimentale de l’institutrice. Fonçant tête baissée sans réfléchir, elle finit dépassée par ses illusions au point d’être terriblement blessée, au niveau du cœur et de la cheville. La clé est alors de se relever et dompter sa vie, et chevaucher celle-ci pour apparaître comme une reine, libre de ses choix, de son corps, de ses sentiments.
Car c’est tout cela Antoinette dans les Cévennes, et bien plus encore. Une aventure bucolique teintée de hasard et de poésie, où chaque rencontre compte et élargit notre vision des choses. Comme notre héroïne romantique qui déprime en voyant un couple de tenanciers heureux, on ne peut qu’être ému de cette foi en un phénomène aussi insaisissable, beau et parfois ingrat que l’amour. Cette quête parsemée de doutes, de souffrances, qui n’oublie pas pour autant un certain goût de l’absolu, résonne alors si fort pour ne pas succomber au charme de cette aventure tantôt amusante tantôt émouvante. Un film qui, s’il semble petit, est en réalité plus grand que d’autres sortis cette année, par une sincérité qu’il renvoie et qui fonctionne. Caroline Vignal tape donc en plein dans le mille, en espérant ne pas avoir à attendre vingt ans encore pour son prochain film, bien que si cela permette d’avoir des œuvres d’une telle justesse, nous patienterons volontiers.
Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal. Avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Marie Rivière, … 1h40
Sortie le 16 septembre 2020.
“comédie sympathique mais sans plus”, j’avoue que je m’arrête là en ce qui me concerne, quitte à passer pour une tête de bourricot. Ce n’est d’ailleurs pas déshonorant pour Caroline Vignal car l’art de la comédie est sans doute parmi les plus difficiles. Je reconnais les idées énoncées dans votre pertinent article, je retiens celle de “La vie enfourchée” suite aux blessures de cœur et de cheville. Mais pourquoi cette boucle finale, cette nouvelle conquête qui s’annonce déjà illusoire. N’aurait elle donc rien retenu de sa quête ?
Oh ce n’est pas être une tête de bourricot , on peut s’en tenir là si l’on n’accroche pas plus que ça. Pour la conclusion, je ne vois pas ça comme une nouvelle conquête mais plus comme un retour vers Patrick, et rien que son comportement vis à vis du nouveau garçon traduit son évolution, elle est plus calme, dans la mesure et elle apprécie d’avoir retrouvé son compagnon de route