L’amour a t-il des règles ? Est-il un sentiment à l’exploration conditionnée ou libre ? Emmanuel Mouret, dans son nouveau long-métrage, ne vient pas nécessairement répondre à ces questions mais plutôt nous montrer sa vision de l’amour à travers les destins croisés de plusieurs personnages. Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait se place alors dans la lignée d’une grande liste de films français mettant les problèmes de cœur en exergue, avec un sens exquis du dialogue, pour notre infini plaisir.
Maxime vient se ressourcer à la campagne chez son cousin François. Ce dernier absent pour son travail, il doit passer quelques jours avec Daphné, sa femme enceinte de trois mois. Voulant écrire des « histoires de sentiments », Maxime entend profiter de son séjour mais pour commencer ce labeur, mais il va plutôt échanger avec Daphné des confessions sur ses idylles passées et présentes, tandis qu’elle fera de même en lui racontant sa rencontre avec François. Mouret mêle les temporalités et les récits de cœur et crée une sorte de puzzle amoureux des plus sinueux mais palpitant. À travers ses paroles, faisant rapidement office de voix-off pour narrer ses frasques émotionnelles, Maxime ne le sait pas mais il tient son roman.
On se prend alors au jeu du verbe, que Mouret sublime par une écriture riche, adaptée à chaque personnage bien que toujours soignée. La mise en scène est alors dictée par les mots, ceux qui font vivre les sentiments, les expriment. On pense évidemment à Éric Rohmer qui raisonnait de manière similaire, et la comparaison pourrait s’étendre au rôle joué par le hasard dans le récit ici. Les rencontres sont improbables et toujours autant source de confusion que de joie. C’est Maxime qui retrouve la fille de ses rêves du lycée, qui s’avère être la sœur de celle dont il est l’amant, ou encore ce même Maxime qui plus tard retombera sur cette femme dans le sud de la France, alors qu’elle est censée être au Japon. Le hasard nourrit les sentiments et les parcours, partout, tout le temps, jusqu’à la fin. La réalisation sert aussi ce propos, magnifiant ses héros romantiques à chaque instant, usant habilement de l’espace et d’une narration pluri-temporelle pour évoquer les liens qui se tissent et s’érodent.

Ce soin apporté à ces éléments rappelle ce que disait ce même Rohmer à savoir que « le thème du désir est cinématographiquement l’un des plus riches ; car il exige qu’à nos yeux soit étalée l’entière distance qui, dans le temps ou l’espace, sépare le guetteur de sa proie ». Ce travail passe aussi par une relecture constante des clichés liés au genre du film. Si le récit semble accumuler les clichés – grands appartements parisiens puis belles maisons de campagne, un phrasé irréprochable par des individus lettrés et une grosse dose de musique classique pour enrober le tout -, au point d’avoir l’air artificiel, les relations sont toujours plus complexes qu’escomptées, voire inversées, à l’image du rapport de Daphné avec le réalisateur pour lequel elle est monteuse. Il se sert de tous ces éléments pour nous plonger plus profondément dans ces histoires éminemment humaines, qui appellent aux regards de tous, et pas que d’une certaine classe sociale.
Mouret en profite pour questionner le rapport à l’Amour. Implique t-il un comportement sans faille et sans reproche ou le désir qui peut pousser à l’incartade peut-il s’exprimer ? Tous les personnages présentés semblent tiraillés par ce dilemme. La « faute » blessera si découverte, mais n’est-ce pas une faute également de priver deux êtres d’un bonheur intense quant auquel l’envie frôle l’irrépressible. Ces marivaudages pleins de tension sexuelle, charnelle et de jeux de dupes pour récupérer l’être désiré sans faire souffrir les autres, sont délicieusement orchestrés par un Mouret en pleine possession de ses moyens qui donne à voir ces croisements de cœurs éperdus comme un ballet ; on salue les choix musicaux avec des compositions classiques créant un effet de majesté dans ces turbulences émotionnelles. Le jeu, à la lisière du théâtral, sonnerait presque faux si ce n’était pour mettre l’emphase sur le verbe et sa beauté, servi par des comédiens touchants. Le duo Niels Schneider – Camélia Jordana est évidemment le moteur d’un récit qui va tourner autour d’eux, de leurs vécus, et de l’impact de ces derniers sur le présent qu’ils vivent. Jordana est peut-être la plus impressionnante de tous, d’une justesse radieuse et bouleversante. Guillaume Gouix et Vincent Macaigne sont également réjouissants. Leur emploi, différent de ce à quoi ils nous ont habitués – petite frappe pour le premier et trentenaire mou-rigolo pour le second -, est une réussite, amenant généralement une dose de légèreté bienvenue.

Jubilatoire, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait l’est. Peut-être un poil longuet par son nombre considérables de boucles à boucler et de retournements de situations qui surprennent, il n’en demeure pas moins une franche réussite. La fraîcheur et la complexité des sentiments est retranscrite avec une délicatesse rare. Si le désir et l’amour sont deux phénomènes finalement insondables, auquel chacun décide d’obéir comme il le souhaite, Mouret nous rappelle qu’ils sont tous deux d’une grande beauté et d’une intensité qu’il ne faut pas refuser.
Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret. Avec Niels Schneider, Camélia Jordana, Vincent Macaigne, … 2h
Sortie le 16 septembre 2020.
Bravo pour cet article très joliment tourné qui éclaire parfaitement toute la délicatesse de ce film. J’ai moi aussi aimé ce tendre ballet des cœurs qui virevoltent au gré de leurs désirs irrépressibles. Vous avez souligné à raison l’excellente partition des comédiens principaux. Je me permets d’ajouter à la liste prestation émouvante d’Émilie Dequenne et son jeu de dupe sans animosité (elle n’est pas aussi revancharde que la Pommeraye du précédent Mouret). Je n’ai pas trouvé le film si long car le plaisir était maintenu de bout en bout.
Merci pour ce retour ! J’ai vraiment beaucoup aimé le film et je suis content que mon article le retranscrive bien. Il est vrai que j’ai oublié Émilie Dequenne, elle aussi très juste et touchante. Pour la longueur je ne l’ai pas ressenti personnellement, je jubilais un peu plus à chaque nouvelle scène, mais il est possible que ce soit le cas pour certains d’autant que ce genre de films va rarement jusqu’aux deux heures habituellement de ce que j’en ai vu. Une magnifique proposition de cinéma de cette année en tout cas !