Les multiples nominations de Drive my car à la dernière cérémonie des Oscars auront au moins eu le mérite d’installer définitivement Ryusuke Hamaguchi parmi les metteurs en scène asiatiques à suivre. La sortie quelques mois après de ses superbes Contes du hasard et autres fantaisies a permis de renforcer cette impression positive autour d’un réalisateur à la sensibilité aussi discrète que dévastatrice émotionnellement. Ici, la sortie tardive en Belgique de cet Asako I&II (que les français ont pu découvrir trois ans plus tôt en salle) permet encore une fois de contempler ce cinéma tout en cadrage fixe où bouillonnent les sentiments de personnages meurtris par l’amour.
Comment en effet décrire autrement Asako, héroïne titre qui a vu son amour de jeunesse disparaître sans laisser de traces ? La première séquence parvient à renforcer la nature romantique presque irréelle de cette relation, au point qu’un personnage extérieur se permet de déclarer que pareille rencontre n’existe qu’au cinéma. Ici, le rapport avec la fiction s’avère assumé, cadré dans un réel si commun que nos sens y sont en effervescence, beauté discrète d’un quotidien qui se dessine joliment dans les cadres d’Hamaguchi. La nature fixée de ces plans parvient à capter un pouvoir de contemplation, tout comme quelques idées subtiles de sur-cadrage. On pense à un dîner à deux doigts de tourner à la bagarre, laissant Asako spectatrice de la scène à partir d’une cuisine qui renforce la nature passive de son héroïne.

Cette dernière, meurtrie par l’absence de son amour, pense retrouver ce dernier dans la peau d’un autre avec qui elle finit par développer une relation différente mais basée sur cette ressemblance physique. De cette orientation narrative, la narration se permet de traiter d’un deuil, celui du temps passé qui ne peut être récupéré. Il semble aussi qu’un certain slow sentimental se mette à battre, la lenteur de ces effusions amoureuses où le doute subsiste, nourrissant la caractérisation aussi bien d’Asako que de ce nouvel amour. C’est l’être qui n’est pas celui qu’on espère mais qui peut devenir meilleur encore, moins évanescent. La présence physique de Masahiro Higashide joue justement de cette absence, usant joliment de cet artifice de faire interpréter deux rôles totalement opposés à un même acteur pour mieux y dresser le passage de ce qui n’est plus à ce qui reste.
On contemple les fêlures qui se referment, la possibilité d’une guérison sentimentale avec la douceur des cadres d’Hamaguchi. Le réalisateur japonais sait faire poindre un certain parfum de romantisme et dresser la beauté d’un couple dans sa banalité. Cela rend ses quelques mouvements plus forts encore, notamment lors d’une révélation où gît le doute, celui qu’on aurait pu croire disparu mais qui subsiste. De quoi donner une image cruelle où se dressent deux choix, deux visions d’un monde où Asako se voit tiraillée par ce qui se matérialise avec une brutalité sentimentale qui désarçonne. Le parfum amer qui subsistait se voit ré-avancé au premier plan et crée finalement une frustration : qu’importe la décision, c’est dans l’incertitude de l’accomplissement de l’autre option que se dessine une forme de regret qui finit par détruire tout ce qu’il touche. La conclusion ne s’avère que plus triste car ne donnant aucune vraie idée de ce qui arrive après le long-métrage, une fois la fiction revenue dans sa normalité.
Autant un film sur l’absence d’un être que sa présence discrète dans nos idées, hanté par un fantôme qui se matérialise dans un autre, Asako I & II se révèle des plus bouleversants. C’est la finesse émotionnelle d’Hamaguchi qui parvient à s’insérer dans nos sentiments, retournant avec autant de discrétion que de dégâts nos propres doutes sur notre avenir, amoureux ou non. Si de l’incertitude naît la frustration et de la frustration le malheur permanent, que pouvons-nous faire concrètement de notre temps ? Aimer sans doute, aimer pour oublier que le passé a été et que le futur ne sait pas encore comment se dessiner…
Asako I & II, de Ryusuke Hamaguchi. Écrit par Tomoka Shibasaki et Ryusuke Hamaguchi. Avec Masahiro Higashide, Erika Karata, Koji Seto, … 1h59
Sorti le 2 janvier 2019