Que ne ferait-on pas par fanatisme ? Si le carcan religieux est bardé de valeurs qui peuvent être communes et – quelquefois – bénéfiques, la croyance a souvent été l’appât parfait pour enrôler des esprits en besoin de frissons, pouvant justifier toutes leurs lubies et exactions par l’acte divin. On l’a vu, il y a peu, dans Les nuits de Mashhad, Dieu est la réponse parfaite à un acte répréhensible, et incompréhensible. Dans son thriller à sensations Meurtres sous contrôle, Larry Cohen dresse un portrait peu glorieux de la société américaine, celle qui conjugue sa foi à toute épreuve, qu’elle clame à tout va, et ses tueries de masse.
Dans l’approche qu’il suggère par son titre français, Meurtres sous contrôle s’avère bien mensonger. On s’imagine un acte sous hypnose, et la police en proie à des médiums malveillant·es. Il faut s’intéresser à sa motion originelle, bien plus éloignée de la traduction, pour en comprendre le propos : God told me to. Une phrase que Peter Nicholas (Tony lo Bianco) entend juste avant le suicide du premier meurtrier, perché en haut d’une citerne d’eau d’où il a porté le coup fatal avec son sniper à une dizaine de passant·es choisi·es aléatoirement. “Dieu me l’a demandé”. Sommes-nous face à une déviance de l’esprit, ou à une véritable manipulation ? Lorsque les tueries se répètent, et que les perpétrateur·ses répètent la même défense, n’ayant aucune conscience de la gravité de leurs actes puisqu’il ne faut jamais remettre en doute la volonté du Créateur, c’est une enquête semée d’embuches que l’ami Peter s’apprête à mener.
Où sont les limites dogmatiques ? En pensant affronter une branche d’énergumènes illuminé·es, Peter trouve des personnes certes déconnectées, mais n’ayant surtout aucun lien entre elles, du moins apparent. Au-delà de cette persuasion que le divin leur est apparu, a suggéré diverses tueries, et guidé leur geste, aucun·e coupable ne se connaît, et l’idée d’un dessein plus important titille notre enquêteur. Dans ce premier portrait, Cohen, inspiré de la Bible dans ses aspects les plus violents – n’oublions pas que s’il y est dit dès l’arrivée du Christ que Dieu est amour, celui de l’ancien testament reste une entité vengeresse, qui tue à foison pour des motifs injustifiables, et beaucoup de dogmes continuent d’en enseigner les écrits –, questionne la foi aveugle. S’il te dit vraiment de tuer, de massacrer des innocent·es en son nom, est-il vraiment cet être miséricordieux qui délivre son message à travers tes mains tâchées du sang qu’il verse ? On sent par certains portraits, notamment celui du père ayant assassiné son propre enfant, relatant l’histoire d’Abraham lors de sa déposition et ne regrettant aucunement ce geste “nécessaire” puisqu’édicté par le divin, le même questionnement que peut faire Fincher dans Se7en, ou quand la raison n’est plus, seulement l’endoctrinement.
Il est par conséquent dommage de voir Cohen se détourner de son propos premier pour plonger dans une mouvance sensationnaliste, qui fait fi de la folie humaine et du danger des religions pour embrasser la cause surnaturelle, justifier son récit en ajoutant à son personnage principal un arc grossier, et une raison à sa présence en qualité d’enquêteur qui n’a pas besoin d’être mentionnée. Lorsque la cause est autre, plus besoin de douter d’un Dieu qui encourage ses fidèles à ne pas réfléchir par elleux-même, et voilà un scénario annihilé au profit d’un film d’invasion, qui garde un certain charme mais ne conserve pas sa force accusatrice, mettant en doute les fondements d’une société où l’appareil Clergé conserve sa puissance et son influence. Ce qui se perd en écriture se gagne en mise en scène, le classique sans éclat des débuts se transformant en foire aux effets spéciaux dans ce dernier acte. Alors que les réels monstres sont identifiés, et que des tours de passe-passe ont transformé notre Columbo maladroit en Skywalker scanner-isé, le cadre éclate, multipliant les joutes explosives, dans des apparats passant difficilement le passage du temps mais qui, si l’on digère la pilule abandonnée du premier acte, se savourent sans réel déplaisir.

Pour un simple thriller fantastique, Meurtres sous contrôle se tient, son enquête – hors contenu – gardant une construction par créneaux, et jouant d’un caractère haletant que l’on apprécie. S’il déçoit par la finalité, et la mise de côté d’un propos initial qui aurait gagné à être développé, il reste une curiosité oubliée, qui plaira aux amateur·ices de genre aimant dégoter ces métrages qu’elleux seul·es connaissent. Cela dit, maintenant que c’est dispo sur Shadowz, le bouche-à-oreille risque de faire son boulot !
Meurtres sous contrôle, écrit et réalisé par Larry Cohen. Avec Tony lo Bianco, Deborah Raffin, Sandy Dennis… 1h30
Film de 1976, sorti le 18 mars 2021 en DVD/SVOD