Aller au cinéma en sachant pertinemment à quoi s’attendre devient un plaisir bien trop commun. Si l’on peut apprécier d’être cajolé dans notre zone de confort, l’expérience cinématographique se veut avant tout être une plongée dans l’inconnu, dans des narrations que l’on voit peu, et où chaque sentiment est accentué par la surprise. En sortant de Bacurau, les esprits sont confus, on ne sait pas toujours à quoi on a assisté mais un sentiment perdure, celui de l’expérience inédite.
L’action se situe dans l’arrière-pays brésilien, où Bacurau, village semblant paisible au premier abord, est en pleine lutte sociale. À l’heure où les villageois·es peinent déjà à survivre – la nourriture est rationnée, les médicaments aussi, et toutes les premières nécessités commencent à manquer -, un barrage leur retire la source la plus importante dont ils ont besoin : l’accès à l’eau. Le préfet local, craignant pour sa réélection, vient régulièrement tenter de discuter avec eux, mais se retrouve accablé devant des gens loin d’être dupes face à sa sympathie relevant plus du calcul politique que d’une réelle empathie. Alors que les habitant·e·s s’aperçoivent qu’ils ont été rayé·e·s des cartes sur Internet, et que des soucoupes volantes commencent à survoler la région, le climat austère cède à l’étrange, et les événements s’accélèrent pour ne plus nous laisser respirer.

Alors que l’on s’attendait à une discorde de classe sociale – que l’on se rassure, c’est bel et bien le thème de fond, très présent et habilement référencé -, le film opère en réalité un virage brusque vers le cinéma de genre. Une milice américaine débarque de nulle part, et commence à dézinguer tou·te·s celleux qui croisent son chemin. Les soucoupes sont en réalité des drones, destinés à observer le fonctionnement du village mais aussi à surveiller la milice et compter les « points » attribués à chaque meurtre. Destabilisé·e, le/la spectateur·ice ne comprend pas bien leurs motivations : est-ce une mission d’éradication ? Est-ce un jeu filmé comme une télé-réalité malsaine ? Peu importe, l’idée est de nous lancer en plein dans un film de survie, de chasse à l’homme, où on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer.
Car malgré l’avantage technologique, notamment en terme d’armement, la milice se heurte à un défi bien plus coriace qu’imaginé : les villageois·es sont elleux aussi armé·e·s, et ne comptent clairement pas se laisser faire. Le chasseur devient alors traqué, et se considère comme victime de l’hostilité de sa proie. Dans une série de dialogues savoureux, celleux venu·e·s commettre un génocide se mettent à pester face à la mort des leurs, comme s’iels n’avaient rien demandé de tout cela. L’humour se mêle à l’action, souvent gore malgré une bonne utilisation du hors champ, et les codes de mise en scène sont directement empruntés du giallo, notamment le moderne Laissez Bronzer Les Cadavres, d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Des références fort agréables à retrouver qu’elles sont relativement rares à l’écran, mais qui peuvent aisément rebuter.

Bacurau n’est pas un film facile à appréhender. On peut vite être perdu·e face au déchaînement de styles proposés, ceux exploités comme ceux laissés pour compte (John Carpenter n’est pas bien loin, lui à qui on a même emprunté une partie de la bande originale, mais l’ambiance s’en éloigne rapidement), et beaucoup d’éléments abordés en première partie sont vite laissés de côté, faisant du prélude un fourre-tout un peu trop fouillis qui ne voit que trop peu de développement au profit de l’explosion de la seconde partie. Mais quelle partie ! Les plus assidu·e·s trouveront forcément leur compte dans cette ode au film de genre sous tension qui ne délaisse jamais son/sa spectateur·ice et tente tout ce qu’il peut pour renouveler à chaque plan son plaisir de mise en scène. Hostile mais généreux, Bacurau est un ovni, et surtout une véritable expérience de cinéma pour quiconque ose s’y aventurer.
Bacurau, de Kleber Mendonça et Juliano Dornelles. Avec Barbara Colen, Sonia Braga, Udo Kier…2h12
Sortie le 25 septembre 2019.
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