Les sorties en VOD, qui ont supplanté les fameux direct-to-dvd avec l’avènement du streaming et de la consommation de masse des vidéos, sont à double tranchant. Soit on tombe face à une pépite, un film brillant mais boudé par les distributeurs qui ont peur de se retrouver avec dix entrées au compteur et une exploitation sur quelques pauvres salles parisiennes. Soit on tombe face à un objet parfaitement insignifiant, aussitôt vu, aussitôt oublié, qui passe en coup de vent dans le cerveau. Black Beach appartient à la deuxième catégorie, et ne marquera pas les esprits d’amateurs de thriller sur fond de corruption, de politique, et de méchantes organisations internationales.
Carlos Fuster est un cadre dirigeant espagnol. Sorte de bureaucrate qui vit à Bruxelles, travaille pour une société pétrolière américaine et rêve de déménager à New-York avec sa femme pour devenir associé de l’entreprise. Mais sa vie luxueuse est contrariée lorsque sa direction le choisit pour jouer les médiateurs dans un kidnapping d’un ingénieur pétrolier en Afrique, qui met un contrat à gros chiffres en péril. Les soucis commencent, et le passé de Carlos refait surface…
Vaste programme que ce Black Beach, nom d’une prison de Guinée équatoriale réputée pour commettre des atrocités envers les prisonniers. Elle ne sera vue que quelques minutes sur près de deux heures de métrage, et ne reflète en rien le condensé de l’intrigue. C’est peut-être un peu trop ambitieux pour le cinéaste Esteban Crespo, connu pour avoir réalisé un seul long-métrage, dont le synopsis tiendrait sur une feuille d’un rouleau Lotus. Amar, l’intensité d’un premier amour adolescent, des hormones sexuels à leur paroxysme, du désir de vouloir copuler partout, tout le temps, jusqu’à la rupture et aux regrets. Passer de l’amourette juvénile au thriller international, il n’y a qu’un pas. Ou plutôt un grand canyon, dans lequel il est plus simple de tomber, que de le franchir avec une botte de géant. C’est un genre du cinéma qui est plus souvent une usine à se vautrer qu’un marqueur de réussite.

Pourtant le cinéma espagnol semble avoir trouvé une âme et une identité propre lorsqu’il parle de son intérieur, de ce qui l’anime, le dérange, le fait souffrir. Il y extrait une crédibilité, et passionne par ses thématiques, son regard et son ambiance (El Reino, La Isla Minima, L’Homme Aux Mille Visages…). Esteban Crespo s’est sans doute vu pousser des ailes d’aigle royal, mais se retrouve à jouer les colibris. Tout le monde ne s’appelle pas Rodrigo Sorogoyen ou Alberto Rodriguez, pour manier la caméra, créer de la tension, écrire et donner de la personnalité aux personnages.
Black Beach a le souci de vouloir trop en faire et faussement. Brasser la corruption, la politique, le capitalisme, la dictature, faire se mélanger un dilemme entre vie personnelle et professionnelle du héros. C’est lourd, et désintéressant au possible. On s’ennuie ferme fasse au récit vaseux, en essayant de suivre ce qui se passe tant bien que mal. Puis, lorsque l’action s’emballe enfin, c’est en trottinant que le héros se fait poursuivre par des soldats tortionnaires. Aucunement tendu ou crispé pour le sort de Carlos, même quand une sulfateuse posée à bord d’un hélicoptère tire des balles comme si le bruit était étouffé par un coussin à plumes.

La photographie n’offre aucune nuance ni subtilité. Les villes et buildings sont gris, et quand on arrive en Afrique la chaleur apparaît et les teintes orangées prennent le dessus. Mais sinon où est la prise de risque ? Cela paraît incroyablement simpliste, tout ce qui est riche transpire la richesse, et tout ce qui est pauvre paraît très pauvre. On est face à un projet pour un téléfilm chargé d’alimenter une chaîne du câble de la région madrilène, en voulant élever les consciences sur notre monde pourri, avec maladresse et grossièreté .
Carlos Fuster est l’homme de la situation. Même si au départ il en doute, c’est son passé de membre d’une ONG, et ses contacts qui lui serviront à faire la lumière sur l’affaire, et révéler que les puissants ne sont pas aussi gentils qu’ils le laissent paraître. Raùl Arévalo s’est déjà montré brillant, et dernièrement chez Sorogoyen (Antidisturbios), il est ici aussi fade qu’un régime à base d’avoine et de galettes de riz. Sans expression, si ce n’est d’une gueule bourrue à la Sean Penn. Le cliché de l’homme occidental et des institutions qui ont le fantasme de régler des conflits qu’ils ont eux-mêmes initiés par le passé, avec une chemise blanche repassée, les manches retroussées et le col ouvert à la BHL.

Jouer un double jeu et vouloir installer une démocratisation dans des régions rongées par la dictature, sans non plus trop forcer car il y a des intérêts financiers importants. Voir la douleur d’un pays du haut d’un gratte-ciel, dans le fond d’un verre de mojito et sa tranchette de citron vert, ou d’une ligne de coke inhalée pour redonner du vif. Le summum, lorsque Carlos se trouve au volant d’une Ferrari au milieu de bicoques et de l’affluence du marché du village, c’est l’homme blanc et le « grand » monde qui viennent piétiner les petits. Carlos Fuster est un tintin ou Jack Ryan au rabais, chargé de faire la lumière sur l’Afrique salie malgré lui. Non pas en mettant à contribution son intelligence et ses capacités, mais en découvrant les événements quand ils arrivent à lui et cherchant une solution pour s’en dépêtrer.
Black Beach, c’est le programme type de la production qui aspire des influences, veut faire classieux et ambitieux, mais qui ressemble plus à un simple rot qu’à un morceau de bravoure. Passez votre chemin, ou offrez comme cadeau la VOD à quelqu’un que vous appréciez peu, s’il ne le sait pas encore il fera directement le rapprochement.
Black Beach, de Esteban Crespo. Avec, Raùl Arévalo, Candela Peña, Paulina Garcia… 1h50.
Sortie le 14 janvier 2021 en VOD.