[CRITIQUE] The Young Pope : Du rififi chez les bigots

Paolo Sorrentino, ses déchaînements provocateurs, sa caméra qui se fait une joie de filmer la décadence avec panache, et son amour des personnages controversés, grandiloquents, qui s’attaque aux dogmes religieux ? Le catholique en eux s’insurge, l’athée en nous se frotte les mains à l’avance. Pourtant, malgré une critique ouverte – et frontale – des pratiques vaticanes, The Young Pope joue à jongler sur une corde plus subtile. Un essai philosophique passionnant, qui met la quête de spiritualité au premier plan, et ce bien avant le caractère divin.

Si c’est une récurrence plus actuelle, il est quand même de bon ton de noter un caractère précis qui offre à The Young Pope toutes ses chances : l’implication totale et sans concession de Sorrentino. Il écrit et réalise l’intégralité des épisodes, ne laissant alors aucune possibilité de détour quant à sa vision et sa mise en scène qu’il peut rendre cohérente. Et quand on connaît son goût pour l’exotisme et le bigarré, on sait d’emblée que The Young Pope va pouvoir se targuer d’une identité propre, loin de la recette « magique » que les showrunners appliquent à la lettre dernièrement, conférant aux séries une matière certes efficace mais manquant définitivement de grain (heureusement pour nous, c’est cyclique, et les contre-exemples sont bien nombreux).

On suit ce jeune pape, élu car considéré comme manipulable par le Sacré Collège, tandis qu’il met à mal les dogmes si chers à la religion catholique. Celui dont personne ne redoutait les affres s’avère avoir une personnalité bien plus prononcée qu’à l’énoncé, et surtout une dualité qui lui a forgé un caractère froid, paranoïaque par instants, épris d’une réflexion bien plus libre et éloignée du carcan de la Pensée unique. À travers les dix épisodes, il s’interroge sur des questions essentielles, souvent taboues au sein de l’Église, et y oppose à chaque fois les mêmes deux extrêmes : le respect à la lettre des Écritures et la bonté propre à l’humain. Celui qui apparaît comme obscurantiste, refusant aux croyant.e.s jusqu’à son image publique et ayant le souhait de retrouver une Église uniquement centrée sur le divin et la radicalité de la Foi, questionne les institutions vaticanes quant à leur manque total de modernité.

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La dualité prend un tout autre sens. Lenny, ou désormais Pie XIII, sous la tutelle spirituelle de Sœur Mary – qui pour sa part n’a jamais caché son caractère anticonformiste face à l’ancrage religieux –, applique premièrement un code personnel concernant les sujets abordés, pour finalement se fier à son bon sens, à des choix semblant plus lumineux que des règles visant la division sous couvert d’une certaine sainteté. C’est face aux sujets les plus brûlants dans les communautés catholiques, et surtout actuels, que la série trouve son ton. Le pape condamne, conformément au dogme, les pratiques sexuelles considérées comme déviantes puis, par le biais de rencontres, les réétudie, réfléchit à leur réelle place au sein d’une Église sensiblement plus forte si elle acceptait de nouveaux fidèles venant d’horizons plus « obscurs« . Ne plus juger mais comprendre et accepter, surtout quand les rangs du corps religieux comportent leur lot d’homosexuels, de femmes libérées, de prêtres expiant leurs traumatismes par des actes abjects. The Young Pope nous parle de pardon, d’acceptation, de repartir sur des bases saines. C’est là la véritable critique du Vatican et de ses fonctions dogmatiques : la religion, hurlant son caractère sain, n’en a plus le moindre aspect, s’est enfermée dans sa fonction vengeresse et pseudo-justicière jusqu’à s’affubler de la gangrène qu’elle dénonce, oubliant sa mission d’égalité, d’unification des peuples et des coutumes. Pour mettre en lumière ce défaut, il ne fallait ni plus ni moins qu’un magistrat qui ne croit pas en Dieu.

Car le caractère central de Pie XIII est sa non-croyance en une entité divine. Il se remet constamment en question sur ce sujet, adorerait croire, mais agit surtout par acquisition de qualités morales. On comprend à ce titre une leçon bien plus importante, que les écritures religieuses sont avant tout destinées à adopter un code moral visant le bien de tou.te.s, plutôt que de croire en un barbu colérique qui nous foudroie au moindre faux pas. Lenny, de son côté, n’aspire pas à être un quelconque leader mais un guide, une aide à ce que chaque homme suive son chemin dans la dignité. C’est là que se crée le fossé entre des radicaux dogmatiques d’un côté, un radical libre-penseur de l’autre qui veut, comme on l’a déjà mentionné, retrouver l’essence du mot « croyance » mais aussi lui faire tourner sa dernière page pour l’inclure dans la complexité humaine. Tout ce fond dense, mais pourtant limpide, est illustré par un jeu de pouvoirs intense, et jouissif à observer. On assiste aux magouilles, aux alliances politiques visant à destituer le jeune pape et aux manipulations diverses pour tenter de le confondre sur son image. Le Cardinal Voiello, qui par son influence a toujours été pape à la place du pape, perd sa place de choix et devient un adversaire redoutable, lui qui connaît tous les travers et astuces à utiliser pour sa cause de maintien au pouvoir.

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Chaque épisode constitue une avancée sur l’échiquier. Difficile de savoir de quelle couleur sont les pions tant les desseins sont diffus, et surtout tant chacun.e a une volonté vertueuse autant que des intentions personnelles et, par conséquent, égoïstes. Celles de Sorrentino, par ailleurs, relèvent ce fond plus sérieux que jamais avec cet aspect irrévérencieux qu’on lui connaît. Au-delà d’une mise en scène plus distinguée qu’à l’habitude, il se permet un ton outrancier et volontairement provocateur par moments – on pense notamment à la scène où Lenny essaie divers habits papaux sur « I’m Sexy And I Know It ». Jude Law, Diane Keaton et l’entièreté du casting – qui compte en son sein les fantastiques James Cromwell, Cécile de France, Ludivine Sagnier, Silvio Orlando… –, tou.te.s formidables, y sont avant tout des complices, partenaires de crime d’une entreprise osée. Critiquer aussi frontalement la religion catholique et ses méthodes dans les contrées italiennes, encore très pieuses, n’est pas une mince affaire, et The Young Pope y parvient avec brio, panache mais sans gratuité totale, et laisse de grands espoirs quant à sa suite.

The Young Pope, série de Paolo Sorrentino. Avec Jude Law, Diane Keaton, Silvio Orlando…. 10 épisodes
Série de 2016 sortie sur Canal +

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