Analyser les œuvres d’Hayao Miyazaki, c’est réaliser le grandiose qui va crescendo à chacune de ses tentatives. Fort d’un onirisme absolu, le réalisateur nippon va avec Le Voyage De Chihiro partir dans de nouvelles rêveries visuelles, soigner son bestiaire et sa direction artistique pour nous emporter dans une aventure plus grande encore.
Lorsque la petite Chihiro et ses parents s’arrêtent pour le déjeuner alors qu’ils déménagent à la campagne, c’est devant un banquet fort tentant que la famille se retrouve. Personne aux alentours, l’occasion pour les parents de se goinfrer de victuailles diverses alors que la gamine refuse de se laisser tenter par l’alléchante nourriture. Sans demander l’autorisation, et s’imaginant payer plus tard, les parents amorcent le péché de gourmandise, et en paient le prix fort, transformés en porcs par une sorcière leur ayant dressé ce piège, entraînant alors Chihiro dans ce monde caché, dirigé en partie par les animaux.

L’occasion est pour Miyazaki de développer un univers complet, régi par des règles différentes, où la magie fait figure d’autorité. Devant lutter pour sa survie, et surtout pour ne pas se faire repérer dans un monde où les humains ne sont pas les bienvenus, Chihiro doit s’armer de malice, passer de rencontre en rencontre pour trouver le moyen de rompre le charme ayant emporté ses chers parents et pouvoir ainsi retrouver sa réalité. D’esclave au service de ses tyrans dont elle doit obtenir les faveurs, elle s’émancipe à mesure qu’elle reçoit l’aide de personnages aussi étranges qu’armés d’une fascination pour la jeune fille.
L’imagination de Miyazaki n’a jamais été autant au service de son récit. Chaque personnage est issu d’un bestiaire étrange, né des fantasmes de son réalisateur, et nous émerveille autant qu’il nous surprend. Que ce soit la sorcière Yubaba et sa jumelle, l’immense Bébé qui emprisonne Chihiro le temps d’une session de divertissement particulière, ou le démon Sans-Visage qui envahit les lieux, tout est sujet à la surprise, et chaque séquence nous transporte dans les tréfonds de cet univers féérique. Vision manichéenne, où une bande vient déjouer tout un univers considéré comme malsain, et où les ennemis ne sont pas ceux que l’on croit.

La fable écologique, fleuron des œuvres de Miyazaki, est bien présente. L’homme pris au piège devient gibier, cet animal qui va être dégusté sans scrupules. Mais derrière toute une nouvelle société où les faux-semblants – on pense à cet être recouvert de crasse, qui suscite toutes les attentions là où il ne recherche qu’à être lavé de son apparence trompeuse – et l’attraction pour l’enrichissement dominent, la justice commet aussi quelques travers. Ainsi, le démon sans-visage qui vient en aide à la pureté de Chihiro n’hésite pas à exécuter et dévorer ceux qu’il corrompt. La punition par la mort, que Chihiro va condamner, forçant son aidant mystérieux à également trouver une voie de rédemption. Des thématiques fortes, qui pullulent dans le cinéma du japonais. Le sentiment d’aventure n’est également pas en reste. La construction en divers tableaux représentant les épreuves que doit traverser la fillette pour retrouver son chemin donne le pas à de nombreux moments de bravoure, complétant la fresque initiatique qui se déroule ici.
Le Voyage De Chihiro porte parfaitement son nom, en cela qu’il est aussi le nôtre. Une nouvelle invitation à rêver pour celui qui s’interroge constamment sur le monde qui l’entoure, et étend ses critiques à des univers parallèles, prouvant une simple chose : l’herbe n’est pas verte ailleurs, et les choses que l’on peut reprocher à notre conduite, ici le consumérisme, peuvent se démontrer de différentes façons. Il n’est pas question de fuir, mais d’agir, et c’est lorsque Chihiro comprend qu’elle doit soigner ce nouveau monde pour retrouver le sien que tout reprend un cours naturel. Hayao Miyazaki s’impose une fois encore comme l’un des maîtres de l’animation japonaise, et enrichit ses univers féériques amorcés par Mon Voisin Totoro, pour ne citer que lui. Les moyens du studio Ghibli lui offrent une force onirique incontournable, qu’il va encore utiliser à bon escient pour son prochain métrage, Le Château Ambulant.
Le Voyage De Chihiro, d’Hayao Miyazaki. Avec les voix de Humi Hiiragi, Miyu Irino, Mari Natsuki… 2h04
Sorti le 10 avril 2002
[…] départ de Ghibli en 99, qui a débouché sur un retour en grandes pompes avec l’exceptionnel Voyage De Chihiro, par exemple. Annoncé à l’époque comme le dernier métrage du célèbre dessinateur, il […]