À l’heure où l’on réclame et où on a besoin de plus de femmes pour raconter avec justesse le corps féminin à l’écran, Kristy Guevara-Flanagan vient faire le point avec son documentaire Body Parts. Aidée d’un joli panel d’intervenant·es diversifié·es, la réalisatrice soulève d’importantes questions pour pousser la réflexion quant à la manière qu’a l’art cinématographique de s’approprier un sujet après un siècle d’éducation par le regard masculin.
Lorsque Karyn Kusama décide de réaliser Jennifer’s Body avec en rôle titre Megan Fox (sexualisée tant dans sa carrière de mannequin que par le regard de Michael Bay), son intention première est de détourner tous les tropes connus du teenage movie pour dénoncer la sexualisation des jeunes femmes. Malheureusement, un service marketing foireux et un déferlement sur les réseaux sociaux pousse le film au placard, stigmatisant encore plus son actrice en plus de fermer de nombreuses portes à sa réalisatrice. Un seul constat fait sens, l’industrie cinématographique doit se remettre en question. Dans Body Parts, qui peut se voir comme une continuité thématique du documentaire Tout peut changer de Tom Donahue (lui aussi présenté en avant-première à Deauville), Kristy Guevara-Flanagan fait une analyse peut-être plus fine qu’un simple enchaînement de témoignages d’actrices.
On ne le dira jamais assez, la représentation de la sexualité est loin d’être anodine au cinéma et dans les média. Porte d’entrée pour celleux qui découvrent les premiers émois liés à la sexualité, le documentaire s’attarde sur ce qui fait défaut. D’une représentation biaisée et lisse, on en retient soit des scènes aseptisées comprenant le schéma classique, soit des scènes dans lesquelles la femme est toujours soumise au bon vouloir et à la violence des hommes. Un problème systémique qui en dit long et qui en devient même effrayant lorsqu’on se plonge dans les coulisses de la réalisation de ces scènes. Dès lors, certaines actrices n’hésitent pas à témoigner des conditions de tournage : scènes de nu qui ne sont pas indiquées dans le contrat, peur de se voir fermer des portes si l’on refuse de les tourner. Lorsque Jane Fonda, une des premières intervenantes, explique sa frayeur à l’idée de refuser le nu que lui impose Roger Vadim pour un simple générique, c’est l’émoi qui nous emporte.
Ainsi, la réalisatrice déploie son récit en prenant soin d’établir des parallèles intéressants. Marli Renfro revient sur sa carrière de doubleuse de corps pour Janet Leigh dans Psychose – détail que l’actrice a omis de dévoiler dans son autobiographie -, tout comme on apprend que les jambes que l’on voit au début de Pretty Woman ne sont pas celles de Julia Roberts. D’autres métiers tout aussi importants et passés sous silence sont mis à l’honneur : on pense par exemple aux coordinateur·ices d’intimité, là pour diriger les acteur·ices lors des scènes intimes, un poste qui nous semblerait logique mais qui commence à faire une timide apparition dans le milieu ; ou celleux qui retouchent numériquement les visages et les corps pour qu’ils puissent rentrer dans les normes que l’on se fait du corps féminin.
Jalon important et nécessaire pour pousser la réflexion cinématographique à l’heure du mouvement #MeToo, Body Parts est un documentaire dense qui aborde bien des aspects du cinéma, Blaxpoitation ou représentation des minorités. Si chaque aspect essaie d’être poussé, il est certain qu’on aurait aimé en voir plus tant le sujet est aussi vaste que passionnant.
Body Parts de Kristy Guevara-Flanagan. Avec Jane Fonda, Rosanna Arquette, Rose McGowan… 1h26