Dans le banlieue-film, on demande les extensions directes. Ces œuvres qui, si elles ont pour toile de fond l’immigration et la difficulté pour les personnes cantonnées à leur condition de s’exprimer et exister, ne restent pas enfermées entre quatre barres d’immeuble et où la caméra exproprie leurs habitant·es pour les ouvrir au monde. En nous proposant à suivre une bande de copains sans peur, cherchant à s’insérer dans la grande aventure, Les Rascals introspecte les racines réactionnaires d’un pays qui n’a de cesse de répéter ses envolées racistes, désignant pour ennemi commun celui qui pourtant ressemble à tout un chacun.
Derrière leurs gueules d’ange, les Rascals, qui veulent se la jouer loubards, sont avant tout des petits cons. De ceux qui enchaînent les conneries, trop occupés à regarder les filles et à vouloir faire la fête plutôt qu’à penser à leur avenir, mais dont on sent que le plomb gagnera bientôt les cervelles, tant ils ont bon fond. De vrais banlieusards, une troupe cosmopolite – on remarque d’ailleurs un “blanc” dans la bande, pour ceux qui se sont unis parce qu’ils ont grandi ensemble, sans réellement se soucier de leurs origines respectives –, qui aspirent à des jours meilleurs même s’ils voient les murs de la cité comme une prison difficilement surmontable, les ramenant à leur condition de fils d’immigré·es. Mais dans cette bande insouciante dort un mal incurable, celui d’Ahmed, renommé “Rico”, qui à 11 ans s’était fait tabasser par un skinhead bien vénère, “Loki”. Une virée chez le disquaire, et entre deux vinyles d’Alice Cooper et Ozzy Osbourne – From the inside et Diary of a madman, les amateur·ices en sourient encore –, la tête du vendeur, qui n’est autre que ce cher Loki, désormais repenti de ses affiliations d’extrême droite, fait surface, réveillant en Rico une rage enfouie. La vengeance s’opère, débutant une nouvelle spirale de violence, de celles sans issues qui se règlent dans la rue.

Le récit des Rascals se scinde en deux points de vue distincts. Celui de Rudy, d’origine martiniquaise, qui doit choisir entre rester avec ses copains, dont il commence à regretter les choix violents, ou accepter de faire son service militaire, ce qui lui permettrait de trouver un emploi et subvenir aux besoins familiaux. Celui de Frédérique, sœur de Loki qui assiste au lynchage, et qui contre les conseils de son frère décide de s’affilier à un groupuscule identitaire, afin d’obtenir sa vengeance. Deux schémas emplis d’une innocence détruite, qui ne peut que conduire à des choix funestes lorsque l’on se doute que chaque nouvelle attaque ne fera qu’entraîner des répercussions sans fin. Politiquement, car c’est bien la contextualisation qui nous intéresse, nous sommes durant le premier mandat de Mitterrand, coïncidant avec la montée des activistes nationalistes, et d’une lutte sociale à venir, qui embrase encore plus le pays en 1986. Frédérique entre dans ce milieu baigné d’idéaux nazis et racistes, où l’on considère Jean-Marie Le Pen et le Front National comme des enfants de chœurs. Amusant de voir des discours déclarant que c’est la politique migratoire le problème, que les immigré·es en sont les premières victimes, parquées dans des conditions inhumaines et voué·es à la précarité qui mène à la délinquance, quand la lutte contre le système en place qui asservit les populations minoritaires n’exclut pas quelques ratonnades et autres meurtres à l’encontre de ces mêmes victimes. Le point de non-retour pour Frédérique, c’est lorsqu’elle assiste à la défiguration d’un militant communiste, condamné pour un simple collage d’affiche : celui qu’elle voit affubler ce dernier d’un sourire d’ange, la mutilation alternant avec un contre-champ sur le visage de la jeune femme que l’on pense dégoûtée, lui inspire des pulsions sexuelles, elle qui fantasme la violence dont est capable la brute au service de sa vengeance. Le film alterne ces scènes d’une violence très directe avec des passages plus calmes, où les mômes s’amusent, baignent dans leur insouciance au son du rock’n’roll pour certains, du punk à lacets blancs pour d’autres. La représentation des deux bandes les distingue cependant : là où les Rascals, bien qu’ils aient le sang chaud, viennent avant tout profiter, s’amuser, découvrir le monde et l’amour, les skins, eux, prennent du plaisir à venir foutre la merde partout où ils mettent les pieds, considérant que l’espace public et privé leur appartient, et se déplaçant uniquement à des lieux où une bonne baston peut se profiler. On voit une différence entre un groupe né sur l’amitié, l’autre sur une haine commune, leurs membres ne pouvant sympathiser et s’exprimer que par l’expression de leurs envies sanguines. La suite des événements se dessine dans nos têtes, l’inspiration shakespearienne faisant foi : la violence ira crescendo, ne s’arrêtera pas aux premiers sangs mais bien quand les morts surviendront. Et, évidemment, c’est l’innocence qui paie le prix de ces incivilités.
Au-delà de ces histoires de jeunesse, le film se veut avant tout politique, témoin de la montée des extrêmes dont fut victime le pays, et dont les banlieusards furent les cibles, pour des conséquences que nous vivons encore aujourd’hui, lorsque les mentalités peinent à comprendre ces objets de conflits, et que les schémas se reproduisent. À l’heure où ce connard de Zemmour enchaîne, malgré ses défaites évidentes, les discours haineux pour galvaniser ses troupes d’imbéciles, rappeler par le cinéma le fléau du racisme s’avère toujours aussi essentiel. C’est peut-être aussi ce qui dessert Les Rascals tant il soigne ses personnages, et leur offre des arcs censés parler de leurs tentatives d’intégration dans un monde qui ne voudra d’eux qu’au prix d’efforts surhumains. Dans sa conclusion, Rudy, qui a pourtant beaucoup perdu et sort de prison, frappe la caméra avant un panneau qui nous indique que “La chasse aux skins” débute dans les années qui suivent. Un effet fort, qui donne à lever le poing et dont on partage totalement la pensée, mais qui, en conclusion d’une histoire où la violence à laquelle nous avons assisté est la conséquence des mauvais choix du personnage et du fait qu’il ait entraîné les autres avec lui là où il pouvait être là voix de raison, donne une note amère, comme deux récits qui peinent à se rejoindre. Le fait d’avoir beaucoup insisté sur les tribulations familiales, sur cette mère qui lui conjure de se reprendre en main au risque d’apporter le malheur sur sa famille, présage d’une démonstration exacte, fait que l’on peut douter de la moralité – ou du moins de sa justesse – d’un film qui se laisse emporter par la rage qu’il souhaite véhiculer. À raison.
Si Les Rascals dérange, il faut se poser la question de pourquoi, et d’où l’on se place sur l’échiquier politique. Dans le traitement médiatique qu’il dévoile, on voit l’opinion publique se faire influencer quant à l’abjection du meurtre d’une étudiante blanche, là où le meurtre d’un jeune homme noir par cette même victime de représailles est passé sous silence. La tragédie ici n’a pas de couleur, mais les pouvoirs en place choisissent ce qu’ils veulent montrer, à l’image d’une exaction policière que la caméra choisit de conserver hors champ, se plongeant dans le regard satisfait d’un nazillon savourant l’exsanguination d’un arabe. Eux savent que leur racisme tue, et que tout le monde dira que les blancs sont les victimes de ceux qu’ils oppressent. Tant que ce sera le cas, et puisque ça n’a pas l’air près de changer, nous célébrerons des films comme Les Rascals, qui nous offrent des portraits solaires de ces invisibles, qui ont les mêmes envies, et font les mêmes bêtises. Un gosse est un gosse.
Les Rascals, de Jimmy Laporal-Trésor. Avec Missoum Slimani, Angelina Woreth, Victor Meuteulet… 1h40
Sortie le 11 janvier 2023
Ayaaa la critique de grosse gauchiasse
Merci ! Tu as parfaitement cerné l’idée ?