Après une première expérience derrière la caméra en 2000 pour Au nom d’Anna, une comédie romantique au casting déjà cinq étoiles (Ben Stiller, Anne Bancroft, Eli Wallach et Milos Forman), Edward Norton remet sa casquette de réalisateur pour nous livrer Brooklyn Affairs, adaptation du roman Les Orphelins de Brooklyn de Jonathan Lethem, un pur film noir en plein cœur de New York.
Un mélange d’influences pour un cocktail délicieux
Avec Brooklyn Affairs, Norton nous raconte l’histoire d’un détective privé, Lionel Essrog (Edward Norton), handicapé par la maladie de La Tourette, qui décide d’enquêter en solitaire sur le meurtre de Frank Minna (Bruce Willis), son ancien mentor et ami. Au fil de ses découvertes, il va se rendre compte qu’il est confronté à une affaire de grande ampleur, touchant la ville de New York en général, aux mains du fameux Moses Randolph (Alec Baldwin).
Le film noir est un genre des plus codifiés et anciens, ayant connu une grande exploitation à partir des années 40 à Hollywood. Pourtant les influences du réalisateur sont ici plus récentes et même étrangères aux États-Unis pour certaines. Impossible de ne pas voir dans ce film un hommage aux grands classiques, du fait notamment qu’il ait décidé de placer l’intrigue dans les 1950s, là où le roman était contemporain. Norton s’inscrit davantage dans la lignée de Chinatown ou L.A. Confidential. Ces deux œuvres, versions modernisées du genre noir, sont éminemment présentes ici, dans l’intrigue par exemple où l’on ressent bien leur impact avec l’idée de corruption à grande échelle et d’affaire dépassant le protagoniste. On voit aussi certains éléments visuels qui évoquent le style de David Fincher, peu étonnant vu l’impact de ce dernier sur le cinéma américain actuel et sachant que les deux ont travaillé ensemble par le passé.
Cela dit, il puise aussi dans certains codes plus européens puisque l’on peut percevoir une patte rappelant par moments Le Samouraï de Jean-Pierre Melville ou bien une utilisation de jump-cuts très godardienne, pouvant faire écho à A bout de souffle, qui reprenait déjà clairement les codes du “cinéma de papa” hollywoodien.
Face à cet ensemble d’inspirations, on pourrait se dire que Norton ne va faire qu’un étal de sa cinéphilie pendant 2h25. Certes, les influences sont parfois visibles mais il arrive à toutes les doser par un brillant jeu d’équilibriste, ce qui donne finalement naissance à un style relativement singulier, traduisant bien la vision de Norton et non pas un simple décalque de grands auteurs d’hier et aujourd’hui.

Montrer le passé pour parler du présent
Si Norton se débrouille bien dans la gestion des inspirations, il n’est pas en reste pour ce qui est de l’ensemble du film.
D’un point de vue scénaristique, il arrive à nous emmener avec lui dans cette intrigue un brin complexe avec une grande limpidité. L’histoire avance posément, méthodiquement, et place un à un ses différents pions qui vont permettre de se diriger vers la fin sans encombre. Cette approche est certes intéressante mais elle a malheureusement ses limites en ce que, s’agissant d’un genre codifié aux ressorts vus et revus, certains éléments de surprise peuvent être facilement décelables dès leur apparition. Il n’empêche qu’on est embarqué sans nous ennuyer dans cette investigation solitaire dont les révélations sont liées à notre société.
Avec cette histoire de ville corrompue et de magnat tyrannique de l’urbanisme un tantinet mégalomane, Norton arrive à évoquer de nombreuses problématiques actuelles. On peut y voir un gros propos sur le racisme politique avec le manque de considération de la classe dirigeante pour les personnes d’origine étrangère dans la mise en œuvre de leurs mesures censées profiter à tous. À travers ce message-là, on peut en distinguer un autre, davantage lié au fait que la société est de plus en plus anti-démocratique, avec un peuple qui essaie de se faire entendre mais dont la parole est ignorée par ceux qui sont visés.
Sur le reste, Norton se débrouille également très bien. La mise en scène est soignée, avec un parti-pris intéressant de tout observer à travers le personnage de Lionel qui est présent dans toutes les scènes, ce qui fait que l’on avance à son rythme dans son enquête dans la “Big Apple”. Cette réalisation est magnifiée par la très belle photographie de Dick Pope et la bande originale de Daniel Pemberton, décidément très en forme ces derniers temps, qui donnent une ambiance poisseuse mais jazzy au film.
On voit que Norton s’amuse énormément via le montage que ce soit avec les jump-cuts, ou des fondus, dont certains sont vraiment magnifiques. On peut néanmoins regretter certains effets de style un peu kitsch, loin d’être du meilleur effet et qui font un peu tâche mais ça reste minime.
Pour finir, un petit mot sur les acteurs car, une fois encore, l’ami Edward a eu à sa disposition une ribambelle de gens talentueux avec Bruce Willis, Willem Dafoe, Alec Baldwin, Bobby Cannavale ou encore Gugu Mbatha-Raw. Tout ce beau petit monde est au top, brillamment dirigé, avec une mention spéciale pour Willis, que l’on avait rarement vu si impliqué dans un rôle depuis bien longtemps.
Brooklyn Affairs, c’est donc un film noir moderne, d’une grande efficacité. Alors qu’il ne signe que son deuxième long-métrage, et que le pari pouvait sembler risqué vu le genre choisi, Norton s’en tire avec bien plus que les honneurs et il nous donne envie de voir davantage d’œuvres de sa part dans les années à venir.
Brooklyn Affairs, de et avec Edward Norton…Avec aussi Gugu Mbatha-Raw, Bruce Willis, Willem Dafoe…2h25
Sortie le 4 décembre 2019