Visage connu de la contestation iranienne, Jafar Panahi est actuellement emprisonné depuis juillet et condamné à dix ans de prison. Celui à qui on a interdit de réaliser ou d’écrire des films, de voyager ou même de s’exprimer dans les médias pendant 20 ans ne s’est pas caché pour autant, mieux encore, il a continué a réalisé des films de manière clandestine qui ont trouvé leur place dans les plus grands festivals. Alors que son dernier film Aucun ours a remporté le prix spécial du jury à la dernière Mostra de Venise, retour sur Ceci n’est pas un film, réalisé chez lui en 2011.
En effet, Ceci n’est pas un film n’est pas un film mais plus une confession, celle d’un cinéaste coincé chez lui comme un lion en cage en attendant le verdict de la cour d’appel et donc de son incapacité à tourner un nouveau film sous peine de représailles. Qu’à cela ne tienne, le réalisateur iranien a d’autres ressources et se sert de cette situation pour faire un cri du cœur, témoin également de l’état du cinéma iranien (qui ne va guère mieux aujourd’hui). Avec l’aide du documentariste Mojtaba Mirtahmasb qui tient la caméra, Jafar Panahi s’évertue à expliquer son nouveau scénario – d’une jeune fille enfermée chez elle par ses parents – tout en mimant chaque scène. Un geste de cinéma aussi passionné que désespéré.

Ce qui aurait pu s’apparenter à un simple documentaire face caméra du cinéaste narrant son histoire se transforme en quelque chose de plus grand. Bricolé avec trois fois rien, Jafar Panahi y infuse son amour du cinéma et ce besoin viscéral de rappeler qu’il est toujours là, peu importe où se trouve la caméra. Nous voilà donc embarqué·es dans un voyage insolite dans le salon de Panahi où des bouts de scotchs sur un tapis feront office de délimitations du décor de son film avorté, un oreiller pour représenter le lit, une chaise pour la fenêtre, tout est sujet à débrouille. Et si ce brouillon pourrait paraître ridicule, il se mue ici en un cri de liberté et de contestation où, malgré les interdictions, le film se permet d’exister le temps d’un instant, laissant le/la sepctateur·ice imaginer ce que cela aurait pu donner.
Panahi s’amuse de la caméra, montrant exactement ce qu’il veut montrer sans chercher la subtilité, seulement à faire passer son message. Il n’est pas anodin de le voir devant son étagère de DVD avec le film Buried de Rodrigo Cortés. Une analogie quasiment évidente quand on sait que le personnage du film se retrouve coincé dans un cercueil enterré. Alors que Ryan Reynolds se bat avec son anxiété pour trouver un moyen de sortir de là, Jafar Panahi utilise la force de la caméra et des images pour continuer d’exister malgré l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Alors que Ceci n’est pas un film était jusque là un film avec Jafar Panahi, témoignage d’un cinéaste en suspens, sa scène finale devient – dans un geste simple et pourtant fort de sens – un film de Jafar Panahi. En reprenant la caméra des mains de son acolyte, le réalisateur reprend le pouvoir le temps d’un instant et fait de ce témoignage un film qui s’inscrit dans la logique de ses œuvres. Au-delà de lui, Panahi aime parler des autres et imprimer dans la rétine des spectateur·ices la réalité : celle d’un pays où la liberté est loin d’être acquise et où tous les espoirs se meurent.
Le voyage de Ceci n’est pas un film aura été hors des sentiers battus. arrivant même en France via une clé USB cachée dans un gâteau. Si on aurait pu craindre un film calibré pour être sélectionné dans les plus prestigieux festivals de films de par son message éminemment politique, le cinéaste maîtrise et comprend son medium, offrant un témoignage qui fait peut-être encore plus sens aujourd’hui alors que des manifestant·es sont condamné·es à mort et des cinéastes emprisonné·es. Seule lueur d’espoir dans ce dédale sombre que représente l’Iran, l’actrice Taraneh Alidoosti (tête d’affiche de Leïla et ses frères) récemment libérée après trois semaines de détention.
Ceci n’est pas un film réalisé par Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb. Écrit par Jafar Panahi. 1h15
Sortie le 28 septembre 2011