Les monstres qui peuplent nos mythes, contes et légendes, au-delà de leurs aspects repoussants, sont les reflets des peurs et des problèmes de nos sociétés. De Frankenstein naissant des avancées médicales et de la maîtrise de l’électricité à Godzilla, monstre radioactif surgissant avec la crainte du nucléaire, tous puisent originellement leurs peurs non pas dans le récit qui leur donne la vie, mais dans le spectateur auquel ils s’adressent. Mais de quoi sont fait les monstres de notre siècle ? Shana Feste pointe du doigt la masculinité toxique et dominante avec Run Sweetheart Run, un jeu malsain qui semble malheureusement trop familier.
Secrétaire dans un cabinet juridique, Cherie est une mère célibataire qui se bat pour conjuguer études, travail et monoparentalité. Un soir, son patron lui demande de le remplacer pour un dîner d’affaires avec Ethan, un client du cabinet. Ce qui commence comme un jeu de séduction tourne rapidement en un jeu mortel dans lequel Cherie devient la proie d’un chasseur assoiffé de sang.

Réalisé en 2020, Run Sweetheart Run résonne à nos oreilles comme un énième film de traque où une innocente et jolie jeune femme, archétype de celles que l’on surnomme les scream-girls, est poursuivie par une entité pouvant revêtir une monstruosité autant psychologique que physique. Pourtant, les premières minutes du métrage s’emploient à nous détromper par un ton qui sied plus à la comédie romantique qu’au film d’horreur. C’est l’un des points forts, dans sa capacité à employer différentes variations de ton pour inscrire son message. Dans ce premier pan, il installe la misogynie comme structure sociale, mais également comme modèle de la comédie romantique où il trace la fine limite qui sépare le comportement pervers de celui de la drague. Certains comportements deviennent-ils acceptables si les protagonistes sont beaux à l’image et le cadre enchanteur ?
Point d’orgue de ce premier acte, l’explosion de la violence qui ne trouve pas sa place à l’écran. Run Sweetheart Run brise le quatrième mur pour faire éclore le mal qui sommeille en Ethan, ce dernier se tournant vers le spectateur pour lui adresser un geste complice lui intimant de rester à l’écart, hors de vue. Le déchaînement de violence est entendu, imaginé, mais jamais exposé. Par cette pirouette, Shana Feste poursuit l’inscription en filigrane de la métaphore faisant du spectateur un ersatz de la société acceptant les violences sexistes dès lors qu’elles restent dans une sphère cachée. Une technique qu’elle éprouve lors de chaque rencontre violente entre Cherie et son bourreau qui permet également de masquer le manque de budget des productions Blumhouse de manière astucieuse même si elle émousse assez rapidement son intérêt auprès du spectateur.

Cette violence portée sur les héroïnes de films d’horreur, c’est le deuxième questionnement qu’induit Run Sweetheart Run dans un deuxième acte revêtant cette fois les codes du thriller aux limites de l’horreur. Traçant le parallèle entre la nuit de Cherie et le visionnage par ses amis de Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper, Shana Feste nous interroge sur la source de ce plaisir que nous ressentons à voir souffrir les innocentes victimes des sadiques. Un raisonnement qu’elle pousse jusqu’à son troisième acte versant dans l’horreur fantastique où Ethan, après avoir personnifié la violence sexiste que l’on ignore, puis le traumatisme des victimes auquel elles ne peuvent échapper, devient la violence systémique dont le seul but est d’empêcher les femmes de s’émanciper.
Ce dernier changement de ton fantastique fait perdre au récit son traitement à taille humaine puisqu’il invoque le bestiaire démonique faisant de Cherie une combattante du bien face à une force du mal insatiable. Par ce revirement, la cinéaste fait plonger son métrage dans le sempiternel rapport de force ange bon/ange déchu. Un rapport bien plus étroit qu’il ne peut y paraître aux premiers abords puisque le bien et le mal de Run Sweetheart Run ont la même origine, celle des codes d’une société qui se sont perdus pour sombrer dans la violence et qu’il faut désormais éradiquer en les exposant à la lumière. Un combat qui ne trouve sa force que dans l’union de toutes les femmes pour briser un cycle qui semble infini et qui, au détour de l’instigation d’une sororité de combattantes, se laisse sombrer dans les clichés de séries B. Écueil majeur du métrage, la présence constante et peu subtile de son message emporte parfois la cohérence de son récit qui semble tourner sur une boucle trop routinière et sommairement oubliable bien que sympathique.

Porteur d’un message nécessaire, Run Sweetheart Run se compose d’idées malignes et de bonnes intentions qui se perdent dans une certaine monotonie de fond. Sympathique et portant un regard intéressant sur ce qui anime le genre et ses spectateurs, il compense une écriture parfois trop légère par une énergie que l’on aimerait voir approfondie et détaillée dans les prochains projets de Shana Feste qui marque ici ses premiers pas dans le monde des monstres et de la peur.
Run Sweetheart Run réalisé par Shana Feste, écrit par Keith Josef Adkins et Shana Feste, avec Ella Balinska, Pilou Asbæk, Clark Gregg,… 1h44
Sortie le 28 Octobre 2022 sur Amazon Prime Video