Il aura fallu attendre un peu plus de 50 ans après sa sortie outre-Manche pour que And soon the darkness débarque chez nous en format physique grâce à l’historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret, l’ajoutant ainsi à sa collection Make my day ! Une œuvre presque secrète malgré un film tourné entièrement en France et avec quelques têtes connues comme Jean Carmet ou encore Claude Bertrand. L’occasion de se plonger dans une campagne reculée et inquiétante au cours d’un été ensoleillé qui promet de belles vacances.
Jane et Cathy, deux infirmières anglaises, ont décidé de parcourir nos belles terres françaises à vélo pendant leurs vacances d’été. Tandis que Cathy a jeté son dévolu sur un jeune homme qu’elle a remarqué à la terrasse du restaurant dans lequel elles étaient, Jane s’inquiète de suivre le programme prévu pour arriver à temps à destination. Suite à une querelle, cette dernière laisse sa meilleure amie profiter d’une bonne sieste au soleil près d’un sous-bois pour aller boire un café. Lorsque Jane décide d’aller la retrouver, elle découvre qu’elle a disparu. Décidée à la retrouver, elle se lance dans une enquête effrénée malgré sa maîtrise du français limitée et des habitant?es peu enclin?es à l’aider.

Si le générique de début vous est familier, ce n’est pas une coïncidence. Les deux scénaristes Brian Clemens et Terry Nation ont travaillé sur la série Chapeau melon et bottes de cuir, tout comme le réalisateur Robert Fuest. Par la suite, le trio a décidé d’écrire et réalisé And soon the darkness qui s’inspire d’affaires criminelles impliquant des britanniques en France comme l’affaire Dominici dans les années 50.
Si le titre laisse suggérer l’inverse, Robert Fuest instaure l’intégralité de son récit en pleine journée, soleil tapant et oiseaux chantants. Malgré ce cadre bucolique, le film instaure rapidement une angoisse qui ne cesse de grandir. Tout se joue dans des cadrages, des détails mais surtout une économie de personnages qui rend l’enquête encore plus inquiétante. Maintenant que Cathy a disparu, Jane se retrouve seule dans un pays qu’elle ne connait pas. Les quelques personnes qu’elle rencontre dessinent une carte postale peu reluisante de nos campagnes, des sortes de rednecks bleu blanc rouge probablement aussi angoissant?es que des américain·es. Si leur ruralité et l’absence évidente de codes sociaux emprisonnent encore plus Jane dans sa solitude et sa peur, tout se joue dans l’écriture du scénario. Les deux scénaristes jouent de la durée assez courte de leur film (1h39) pour exploiter son enquête jusqu’à la dernière minute.

Brian Clemens et Terry Nation reprennent les codes du whodunit pour déployer son enquête, sa liste de suspects et ses nombreux rebondissements. Ils jouent du caractère “brut de décoffrage” des habitant·es du coin pour semer le doute dans l’esprit de Jane ainsi que dans le nôtre. Un jeu machiavélique de ping pong entre chaque suspect·e se met en place, si bien qu’iels paraissent tou·tes coupables. Le jeune homme que Cathy drague au début du film cache habilement sa véritable identité mais une fois dévoilée, celle-ci est mise à mal par un comportement qui ne correspond pas à ses dires. On se pense en sécurité aux côtés des quelques rares femmes du village mais il n’en est finalement rien entre celle qui ne veut rien dire, celle au regard suspicieux ou celle qui glisse discrètement à l’oreille de notre héroïne que ce coin est dangereux. La dernière lueur d’espoir ? Le commissaire bien décidé à prendre cette enquête au sérieux… à moins qu’il n’en soit autrement. Chaque faits et gestes des habitant?es sont tantôt rassurants, tantôt énigmatiques, comme s’iels avaient tou·tes quelque chose à cacher. Puis l’on apprend qu’une affaire similaire a eu lieu quelques années auparavant, une touriste hollandaise aux mêmes traits physiques que Cathy, violée puis retrouvée assassinée sans jamais avoir trouvé le coupable. Le réalisateur transpose les codes du huis clos dans un espace totalement ouvert où Jane est pourtant prisonnière. Le long-métrage se compose d’allers et venues dans différents lieux clés pour essayer de comprendre ce qui s’est passé.
And soon the darkness peut compter sur un duo qui porte le tout du début à la fin. D’un côté Pamela Franklin qui incarne une Jane à la fois terrorisée par ce qui est en train de se passer et assez vaillante pour tenir tête à tous ces hommes inquiétants. De l’autre, Sandor Elès qui s’amuse avec la dualité du personnage de Paul, vacancier qui s’avère être bien plus impliqué que prévu et dont les décisions laissent Jane (et nous par la même occasion) plus d’une fois circonspecte.
Petite rareté du cinéma britannique, And soon the darkness nous trouble et nous perd plus d’une fois pour notre plus grand plaisir. Une enquête finement écrite et menée jusqu’à un final détonnant et – presque – poétique où , comme par magie, la pluie vient balayer l’ambiance morbide qui régnait jusque là dans ce petit patelin français.
And soon the darkness réalisé par Robert Fuest. Écrit par Brian Clemens et Terry Nation. Avec Pamela Franklin, Michele Dotrice, Sandor Elès… 1h39
Sortie en DVD/Blu-Ray le 19 février 2020