Quatre ans après Papicha, Mounia Meddour retrouve Lyna Khoudri pour lui offrir un second rôle sur mesure en la personne d’Houria. Jeune danseuse classique passionnée, cette dernière n’a que son art aux lèvres, décidée à suivre la voie que lui a tracée sa mère, pour qui elle voue un amour inébranlable, au point de s’associer à des combats de rue pour lui offrir une voiture. Les mauvaises associations auront raison de la ballerine, quand un accident fait s’envoler les rêves pourtant si proches. Le corps d’Houria, c’est l’Algérie, véritable sujet du film : un corps cassé, en proie aux doutes, en besoin de reconstruction.
Si Houria semble déterminée au premier regard que nous lui posons, il est difficile d’en dire de même de ses proches. Sa meilleure amie la somme de partir avec elle vers le rêve européen, cette Espagne qu’elle se fantasme, loin d’un Alger où elle ne se voit aucun avenir ; sa mère, dans sa volonté de lui faire accomplir des grandeurs par la danse, souhaite surtout la faire quitter le nid, lui offrir un confort de vie qui l’éloignerait du quartier dans lequel elles vivent, et où l’insécurité règne. Sa rue semble inanimée, désert rythmé par ces trois jeunes hommes qui traînent là, à l’affut de la moindre passante à draguer. La vie, le frisson, elle le ressent dans ces arènes nocturnes où les boucs s’affrontent pour que les paris puissent rapporter quelques poignées de dinars. Autre lieu de danger, où les hommes règnent, et où Houria peine à exister. Que nous ne voyions, au final, rien de ces lieux n’est pas anodin : enfermée dans un cadre restreint autour du visage de la jeune femme, la caméra constitue cette prison où elle n’a pas sa place, où aucun horizon n’est visible. C’est l’accident lui coûtant la motricité qui rouvre les cadres. Désormais entourée de femmes, elles-mêmes victimes tant du contexte algérien que des hommes qui en ont été les acteurs, elle apprend à vivre, et nous apprenons à voir.

À partir de cet élément perturbateur, le film révèle de nouvelles couleurs, fond comme forme. La structure imaginée classique, celle d’Houria qui apprend à danser aux autres femmes pour se reconstruire à travers elles, devient une toile de fond, un moteur jamais principal qui permet de traiter tant une découverte des réalités qu’une appréhension des problèmes d’un pays. L’accident d’Houria devient malgré lui un point de détail, jamais minimisé, mais entouré d’autres faits souvent ignorés, qui frappent mère et fille de plein fouet. Le cadavre de la meilleure amie, retrouvé après sa tentative de traversée, qui rappelle l’impossibilité d’un ailleurs radieux, ou l’identité même de l’agresseur d’Houria, un terroriste “repenti”, réhabilité dans une société qui n’a soigné ni sa violence, ni son aliénation. La police que nous voyons incompétente dans des séquences qui frôlent l’humour noir s’avère en réalité impuissante, prisonnière d’un système qui a fait des choix qu’elle ne peut contrecarrer, même lorsque la morale s’y oppose. Ces dilemmes restent parcourus de beauté, qu’Houria découvre lors de sa rééducation, physique comme sociale. Dans l’institut accueillant d’autres femmes où elle échoue, elle découvre des profils bien différents de sa réalité, assommés par la vie mais qui n’hésitent jamais à se relever. Tout en évitant l’aspect catalogue, et bien éloignée de tout misérabilisme, Mounia Meddour présente les embranchements de son histoire à travers un passé juste évoqué, tant c’est le présent, et surtout le futur, qui compte. Les cadres s’étirent, on découvre une seconde Algérie, loin des villes, où la nature s’empare de nos rétines, inonde le champ de ses chatoiements. Les possibles se trouvent dans la beauté, que l’on retrouve si l’on ouvre les sens.

Houria se reconstruit. Comme Nedjma avant elle, c’est l’art qui devient une extension de son corps, une manifestation de sa protestation et de ses envies, traduites à l’écran lors de séquences où les corps deviennent habités par le rythme. Cri d’amour envers les femmes algériennes, victimes de la folie des hommes, mais surtout récit de réappropriation de leurs corps et de leurs espaces, Houria se veut comme une note d’espoir, pour celles dont le cri n’a toujours pas tari. À l’instar de Papicha, Mounia Meddour met en scène des personnages forts, porteurs de l’histoire d’une région qui ne nous est jamais assez contée, et dont on a tendance à oublier la beauté.
Houria, écrit et réalisé par Mounia Meddour. Avec Lyna Khoudri, Rachida Brakni, Marwan Fares… 1h38
Sorti le 15 mars 2023