Premier long-métrage de Jean-Baptiste Durand, Chien de la casse replace le buddy movie sur la carte des genres. Parfois oublié ou caricaturé (surtout en France), le cinéaste offre au duo Anthony Bajon/Raphaël Quenard l’opportunité de raconter les contours d’une amitié particulière, le tout sublimé par une habile écriture des personnages.
Mirales et Dog sont amis depuis l’enfance dans un petit village du sud de la France. Ils traînent dans les rues, sans but précis, avant que Dog ne parte à l’armée à la rentrée. Mirales n’a pas de plan d’avenir, se laisse porter par son business illégal. Un jour, Dog prend en stop Elsa qui vient au village pendant un mois et tombe très vite amoureux d’elle. Un amour que ne semble pas comprendre Mirales.
Dès le début, le cinéaste place ces deux personnages au centre de tout, et en fait les héros d’un quotidien non enviable. Leurs actions, ou plutôt leurs inactions, sont plus routinières qu’exaltantes, ils traînent sans réels intérêts dans les rues jusqu’à tard le soir et/ou jouent aux jeux vidéo. Ils sont pourtant filmés de près pour mieux voir leurs ressentis, leurs expressions, comme si on assistait à quelque chose d’inéluctable : la fin d’une histoire d’amitié qui n’est pas flagrante lors de leurs échanges.
Ce que Mirales appelle une « amitié virile » ressemble d’avantage à une leçon d’humiliation dans certaines scènes. Même avant l’arrivée d’Elsa, élément déclencheur d’une colère profonde chez lui, Mirales rabroue et brusque Dog à plusieurs reprises, lui reprochant son oisiveté et son manque de culture. Pourtant, malgré ce comportement, J-B Durand ne fait pas de lui un méchant mais plutôt une âme perdue dans un monde auquel il n’appartient pas. Chez lui, ou plutôt chez sa mère, se trouvent des livres qu’il cite très souvent devant ses ami·es, comme si sa son aigreur était le résultat de sa douleur de ne pas avoir trouvé sa place et de rester dans cette routine qu’il déteste autant qu’il en a besoin.
Car Dog et Mirales ne se ressemblent pas et ne semblent pas destinés à être amis. Mirales est un grand bavard, avec du vocabulaire et des références littéraires et philosophiques. Dog est un taiseux qui se contente souvent d’écouter et de réagir par un rire ou un regard, il n’a pas l’aisance orale de son ami ni sa culture et aime rester seul. Une volonté que ne comprend pas Mirales, qui n’hésite pas à mettre ses lacunes ou ses manques aux yeux de tou·tes, car derrière le personnage bavard se cache un jeune homme qui lutte contre une solitude multiple, face à sa mère en dépression, à son ami et au monde qui l’entoure. Ce monde qui en fait une anomalie sociale alors que Dog accepte lui de vivre avec la simplicité de sa réalité, et sait de quoi sera fait son avenir proche.
Elsa est le personnage qui cristallise les tensions sans pour autant en être le moteur. Elle tente de comprendre ce qui pousse Mirales à agir de la sorte tout en apportant la force nécessaire à Dog pour affronter son ami. D’une certaine manière, elle le comprend mieux que quiconque, sait qu’il souffre de ses lacunes et n’en fait pas une arme pour lui faire mal à la moindre occasion. Elle comprend rapidement qu’il ne peut pas vraiment parler avec Mirales qui lui, par son vocabulaire, arrive à mettre des mots sur ses émotions. Néanmoins, Elsa s’aperçoit que Mirales a besoin de Dog, pas parce qu’il a besoin d’avoir un souffre-douleur mais parce qu’il a besoin d’exister auprès de quelqu’un qu’il aime, même s’il ne sait pas lui montrer.
Raphaël Quenard crève l’écran dans un rôle majeur (après avoir déjà été marquant dans Fumer fait tousser). Son phrasé, son naturel, ses expressions sont des instruments du rire et de l’émotion d’une rare efficacité, si bien qu’Anthony Bajon et Galatéa Bellugi sont un peu en reste lorsqu’iels sont ensemble à l’écran. Pour un premier long-métrage, Jean-Baptiste Durand évite l’écueil de vouloir trop en faire ou trop en dire. Avec des plans très rapprochés sur les personnages ou quelques plans larges pour les moments de groupe, sa mise en scène tape juste pour que tout nous semble naturel, à la fois les émotions ou les lieux visités. Il installe, sur un temps raisonnable, une histoire sincère et fluide avec des dialogues aussi drôles que touchants. À la différence de certaines œuvres contemporaines, le cinéaste se refuse à mettre l’un·e de ses personnages sur le banc des accusé·es, préférant miser sur leurs maladresses et leurs parcours sans les juger, comme un ami en somme.
Chien de la casse réalisé et écrit par Jean-Baptiste Durand. Avec Raphaël Quenard, Anthony Bajon, Galatéa Bellugi. 1h33
Sortie en salle le 19 avril 2023