Enfin ! Depuis l’annonce du projet, la Une du Film Français titrée « Reconquête », et les sorties récentes de ce cher Jérôme Seydoux pour fustiger la critique et le cinéma d’auteur suite aux mauvais retours du Astérix de Guillaume Canet, l’attente de ce premier chapitre des Trois Mousquetaires était insoutenable (où peut-être est-ce seulement le film qui l’est et agit rétroactivement ?). Malgré quelques inquiétudes inévitables – Bourboulon aux commandes après le pathétique Eiffel, une distribution alléchante mais facilement encline au surjeu, et l’on en passe –, difficile d’être totalement réfractaire au film de prime abord, une aventure dumasienne sur grand écran conservant toujours son lot de promesses.
Malheureusement, de cette aventure, Delaporte et de La Patellière n’ont retenu que les grandes lignes d’action pour mieux changer ce qui les lie, annihilant à tour de bras tout ce qui pourrait rendre cela palpitant. Non pas que l’adaptation doive être fidèle ; au contraire même, une modernisation est toujours la bienvenue si elle s’avère cohérente. Elle est ici dictée par le rythme et l’envie de marquer les esprits, de montrer qu’on a du fric en France, et que rivaliser avec les Américains ne nous effraie pas. Ce qui permet, rapidement, de rappeler l’ambition du magnat Seydoux et de son acolyte Dimitri Rassam, qui veulent concurrencer les fameux comic book movies avec une ribambelle d’adaptation de nos grands classiques ; Le comte de Monte Cristo avec Pierre Niney est déjà en préparation, tandis que des spin-offs (quel vilain mot !) de Milady et autres sont prévus. De quoi faire trembler les murs outre-atlantique !
Mais voici que sans crier gare, les palpitations commencent, avec une introduction in media res qui force d’Artagnan (François Civil) à se rouler dans la boue entre deux cascades impressionnantes d’invisibilité – caméra qui bouge sans cesse, photographie terne pas aidée par la pluie battante –, au gré d’un plan séquence donnant le ton. Les Trois Mousquetaires se veut épique, tendu, presque vertigineux ; la scène à cran de falaise britannique en est le meilleur exemple. Il faut renouer avec une certaine idée du spectacle Made in France, mais est-ce vraiment le cas ? Car dans son envie de toucher le public le plus large possible, et notamment les jeunes, le film lorgne davantage du côté de ceux à qui il entend faire la nique. Ainsi, une ambiance générale convoquant Game of Thrones – d’autant plus avec les jeux de dupes politique en toile de fond –, un humour potache dédramatisant par à coups digne du MCU (le cynisme en moins, c’est toujours ça), et des costumes qui flirtent parfois avec le steampunk de bas étage, sont les clés de voûte de l’édifice impersonnel seydousien, dont le décorum français est relégué à sa seule valeur marketing.

Sans charme ni émotions – on en viendrait presque à regretter le maladroit Empereur de Paris de Richet –, Bourboulon se contente du strict minimum pour faire vivre des dialogues qui ne savent pas vraiment où se situer, alternant sans aucun sens français d’époque et langage courant pour la jouer cool. Cela fait parfois (rarement) mouche, surtout dans les échanges entre d’Artagnan et Constance Bonassieux (Lyna Khoudri, toute en justesse), mais donne surtout l’impression de regarder une œuvre bâtarde, sans réelle direction si ce n’est celle de convaincre à tout prix, en tentant tout ce qui lui passe par la tête, quitte à être pathétiquement racoleuse. Le fameux affrontement du Calvaire Saint-Sulpice devient le théâtre d’un plan séquence singeant honteusement celui du climax du premier Avengers, symbole parfait d’un élan de frime déjà bien poussiéreux, donnant une certaine idée du cinéma de papa d’aujourd’hui. Dieu merci, l’idée est derrière abandonnée pour revenir à un découpage plus classique et, pour le coup, assez efficace lors de l’ultime scène de mariage, qui donne enfin un semblant du frisson escompté.
Pour le reste, il faut savoir passer outre une écriture à la fois trop chargée et diluée, qui anéantit toute réelle progression dramatique ; la quête des ferrets est presque réduite à une anecdote ridicule, se concluant par un saut de l’ange des plus clichés d’une Eva Green délicieusement en roue libre, pour faire la part belle à la rédemption gracieuse d’un Athos (Vincent Cassel) dont toute complexité est rapidement évacuée. Portos (Pio Marmai) est lui bisexuel, mais cela se réduit à une ligne de dialogue et à un plan qui a tout du gag. Demeure Aramis (Romain Duris), pas crédible pour un sou avec ses « bagouzes » et signes de croix expédiés en deux temps trois mouvements. Bref, un quatuor en demi-teinte qui peine à emporter réellement. Seul le couple royal, porté par un Louis Garrel qui s’amuse ouvertement et Vicky Krieps qui fait parler toute sa classe, hausse véritablement le niveau et donne le lieu à des moments drôles pour l’un, touchants pour l’autre. Une bien maigre consolation, pour un bien maigre film. Les Trois Mousquetaires n’est pas le vent de fraîcheur annoncé, seulement la mise en marche de la marvellisation d’un cinéma français qui n’a rien demandé.
Les Trois Mousquetaires – d’Artagnan, réalisé par Martin Bourboulon. Écrit par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte. Avec François Civil, Lyna Khoudri, Eva Green, Louis Garrel… 2h01
Sortie le 5 avril 2023