Coming Apart

[CRITIQUE] Coming Apart : Anatomie de l’inéluctable

Milton Moses Ginsberg n’a pas eu une carrière des plus florissantes avec seulement deux longs métrages à son actif en 40 ans de carrière. En 1975, un grave problème de santé contraint le jeune cinéaste du Bronx à s’éloigner de ses aspirations cinématographiques, abandonnant la réalisation pour devenir monteur. Ginsberg s’est éteint en 2021 à l’âge de 85 ans, des suites d’un cancer. Deux ans plus tard, Les films du Camélia lui rendent hommage en proposant une restauration de ses films. Retour en 1969 avec Coming Apart, œuvre curieuse et osée qui ne trouve que tardivement – en 2004 – un distributeur français.

Nombreux sont les films dont le voyeurisme est l’essence même de leur mise en scène. D’instinct, nous pensons au Voyeur, Fenêtre sur cour, Body Double ou encore Blow Up. Coming Apart va encore plus loin dans ce procédé en nous plaçant dans une situation extrêmement inconfortable. Joe, psychiatre qui vient de se faire larguer par sa femme, installe un dispositif de caméra cachée dans sa garçonnière nous permettant d’avoir un angle sur tout ce qui s’y passe. Nous voilà obligé·es de le regarder accueillir un nombre insensé de femmes, certaines directement concernées par ses séances, d’autres avec qui il entretient des échanges charnels.

Coming Apart
© Les films du Camélia

Lente décadence

Ginsberg utilise à son avantage la caméra pour nous rappeler qu’il y a quelque chose de “réel” dans ce qu’on observe. Il y a des moments de rupture lorsque le son est actif alors que la caméra ne l’est pas ou des prises de vue subliminales lorsque Joe allume et éteint l’appareil photo. Il lui arrive même d’interagir directement avec la caméra, nous plaçant dans le rôle d’un·e psychiatre, chargé·e d’analyser et de décortiquer ses comportements. Le film relève presque de l’anthropologie à travers diverses expériences sexuelles, toutes observées depuis une position immobile. Parmi toutes ces rencontres, il y a sa maîtresse actuelle qui commence à l’ennuyer, une femme excentrique qui espère que Joe lui infligera encore plus de brûlures de cigarette sur la poitrine, une jeune mère avec son bébé dans une poussette, des portraits divers qui finissent par épuiser Joe, lui-même sombrant dans une forme de folie et se laissant dépasser par les orgies qu’il met en place.

Le film de Ginsberg peut s’avérer simplement subversif, jouant sur les corps dénudés et les scènes de sexe, mais propose une réflexion bien plus profonde qui se reflète dans sa mise en scène, au-delà de cette simple caméra cachée. Le miroir trônant au cœur de l’appartement de Joe dépasse le simple rôle d’un ornement esthétique. Il s’impose comme une métaphore puissante : un outil de réflexion pour un personnage en proie à des tourments existentiels et à des doutes profonds. Il est loin d’être fortuit que les noms de Glazer et Glassman (le nom qu’il utilise pour louer sa garçonnière) soient liés au monde des miroirs car dans ce film, la caméra elle-même est placée dans une boîte à miroir, créant une mise en abime fascinante. Une mise en abime qui se transforme en abîme dans laquelle Joe semble inexorablement plonger à la fin. Une scène finale qui cristallise tout ce que le long-métrage a raconté jusque là avec l’absence remarquée de Joe et l’arrivée de Joann, son ancienne patiente avec qui il a gardé une relation forte et saine, qui détruit tout sur son passage. En pleine crise de panique, elle finit par détruire en mille morceaux l’immense miroir. Chaque chose a une fin, celle de Joe est partie en éclat après avoir brillé grâce à la performance ténébreuse de Rip Torn.

Œuvre expérimentale expressément lente et déroutante, Coming Apart s’offre une liberté de ton en plus d’être un exutoire cathartique pour Milton Moses Ginsberg qui, entre ce film et Le loup-garou de Washington, a décidément eu pas mal de traumatismes à soigner.

Coming Apart écrit et réalisé par Milton Moses Ginsberg. Avec Rip Torn, Sally Kirkland, Lois Markle… 1h51
Film de 1969, sorti en France le 14 juillet 2004

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