Les stations balnéaires européennes se ressemblent toutes. Immeubles à foison, inexistence du folklore local des pays où elles sont implantées, bars cheap et boîtes de nuit tous les trois mètres, elles sont le théâtre de la vie nocturne où des masses de jeunes qui se foutent de visiter un lieu viennent profiter de la plage et de beuveries faciles. Si en grandissant – et en devenant indubitablement des boomers –, on ne trouve plus trop de charme aux Ibiza et consorts, on se rappelle ces périodes où les seules motivations de nos corps en ébullition étaient de retrouver nos ami·es, nourrir nos ambitions alcooliques et nos découvertes sexuelles. C’est justement avec ce regard bienveillant que Molly Manning Walker pose sa caméra sur ses personnages, pour que jeunesse se fasse. Ce cadre impersonnel est pour les trois copines un Eden, terre où elles vont pouvoir se démonter la gueule mais aussi choper à balle.

Ce qui interpelle dans les premiers instants reste le décalage entre les intentions des trois personnages principaux, ou plutôt la manière dont la caméra isole l’un d’eux, en faisant le simulacre de son propos. Des trois amies très proches, nous retenons Tara, dont l’une des différences avec ses copines – notable, puisque soulignée – est qu’elle est vierge et bien motivée par ces dernières à remédier à cela. Quand la jeune fille – il est établi dès qu’elles négocient leur chambre de résidence que les trois sont mineures – semble assurée dans sa démarche, c’est surtout pour “faire comme les grandes”, ces deux amies qui voient la chose comme une formalité et ne se sentent pas de l’accompagner avec douceur dans la découverte de ses sens. Tara n’a aucun repère et se retrouve face à une armée de jeunes hommes en rut qui la voient comme l’objet qu’elle est à leurs yeux. Le seul qui la regarde différemment, Badger, est aussi maladroit que parasité par ses potes idiots, ce qui les éloigne dans un enchaînement de mauvais choix là où ce candidat était parfait pour une première fois.
La première partie de How to have sex se concentre sur ce caractère vacancier et surtout parvient à le rendre réel dans la retranscription des sensations qu’il nous apporte. Dans les séquences de fête, nous voyons le distinguo entre les trois amies : Em, qui se trouve une amante dès le début du séjour est isolée du reste de la troupe tandis que la caméra épouse les formes de Gemma qui joue de ses traits de blonde fatale tout à fait sûre d’elle. Tara, qui feint cette même assurance, se veut plus observatrice et son corps ne nous est montré que lorsqu’elle décide de le mettre en avant. Nous restons majoritairement plongé·es dans son regard, ses yeux perçants qui se teignent de son désir mais aussi de ses craintes. C’est elle qui observe, voit en Badger le gentil garçon que ses copines prennent pour un idiot et en Paddy le prédateur qu’elles voient comme le beau gosse de la bande. C’est en n’écoutant pas son instinct et en cédant aux pressions de Gemma, qui voit la perte de virginité de sa copine comme un jeu de polichinelle dont elle tire les ficelles, que Tara ne concrétise pas ses sentiments envers l’un et finit dans la couche de l’autre.

How to have sex prend son temps pour opérer sa bascule, jouant de l’insouciance de ces adolescent·es qui ne réalisent pas ce qui se passe. Lorsque Tara découche et ne réapparaît qu’au milieu de la journée suivante, l’inquiétude d’Em est contrebalancée par l’indifférence de Gemma, persuadée que son amie est en train de s’éclater. Alors que nous sommes familier·es des lieux, nous réalisons que nous n’avons jamais vu la ville de jour lorsque le plan d’une rue envahit le champ. Cette vision apocalyptique, composée d’un sol noyé dans les détritus et pas une seule silhouette qui n’apparaît, fait naître nos inquiétudes. Une fois l’agitation nocturne terminée, tout semble mort. Tara revenant et invoquant ses souvenirs, c’est dans cette même rue qu’on la voit traverser, déambuler sur cette chaussée oppressante. Des échoppes encore illuminées, une clignote : “Lamb Gyros”. Surinterprétation peut-être, toujours est-il que Tara n’est plus cet agneau passant devant la meute de loups : son innocence est désormais brisée, et pas de la meilleure des manières.
Molly Manning Walker exerce un appui plus renforcé encore sur les regards. Si l’on s’en tient aux faits, on pourrait ne pas reprocher grand chose à Paddy lorsqu’il entraîne Tara sur la plage et lui demande son consentement avant de passer à l’acte. Ce simple “oui” qu’elle lui donne mécaniquement et qui l’espace d’un instant nous ferait presque penser que tout s’est relativement bien passé et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter est une porte ouverte à quelque chose de pire, nous renvoyant un miroir peu flatteur. Pour Paddy, comme pour beaucoup, cette première approbation est un droit à la pénétration quand il le souhaite et Tara n’a plus voix au chapitre, puisqu’elle a prononcé le mot magique.

Dans ces scènes lourdes de sens, les questions qui se posent restent sans réponse. Fallait-il parler ? Fallait-il écouter ? Fallait-il accompagner la jeune femme dans cette expérience avec plus de bienveillance, ne pas la pousser dans une forme de challenge qu’elle ne maîtrisait pas ? Aucune réponse n’est à trouver dans le comportement que ces jeunes femmes “auraient du avoir”, puisqu’elles n’ont commis d’autre crime que celui de vouloir s’amuser, profiter du moment d’insouciance auquel elles ont droit. Le coupable que nous découvrons, qui ne voit aucun mal dans son comportement, est bien banal parce que la situation l’est : How to have sex nous rappelle que dans la culture du viol, nombre de ces actes sont juste le fait d’un samedi soir comme un autre. Des faits alarmants mais qui sont le fruit d’une éducation commune qui ne remet pas en cause ses rapports de domination et laisse des interprétations floues quant aux limites à établir.
How to have sex s’avère brillant en ce qu’il est une véritable expérience de ressenti. Par sa mise en scène, Molly Manning Walker n’a besoin que de peu de mots pour nous faire ressentir l’euphorie, l’extase, la désorientation, l’horreur.
How to have sex, écrit et réalisé par Molly Manning Walker. Avec Mia McKenna Bruce, Daisy Jelley, Enva Lewis… 1h28
Sortie le 15 novembre 2023
Présenté hors compétition au festival du film britannique de Dinard 2023