Après le mitigé Wonderland, le royaume sans pluie, le cinéaste Keiichi Hara revient sur le devant de la scène en adaptant le phénomène littéraire japonais Le château solitaire dans le miroir, qui aborde la question du harcèlement scolaire. Un sujet qui tient à cœur au réalisateur venu présenter son film au Festival du film d’animation d’Annecy en arborant une affiche où est inscrit le nombre 514, correspondant au nombre de lycéen·nes qui se sont suicidé·es en 2022 des suites du harcèlement scolaire.

Loup y es-tu ?
Kokoro est une adolescente qui lutte contre l’anxiété due à l’intimidation d’autres camarades de sa classe, doublée d’une profonde solitude. Cette douleur la maintient dans un isolement inquiétant sa mère qui se démène pour trouver des solutions. Seule une enseignante patiente et compatissante, Mme Kitajima, est une alliée pour la mère et sa fille en gardant toujours un œil sur cette dernière. L’élément perturbateur fantastique survient lorsque Kokoro est entraînée dans un monde alternatif à travers le grand miroir de sa chambre, se retrouvant transportée dans le Château solitaire. Situé au sommet d’une montagne escarpée au milieu d’un océan tentaculaire, ce château isolé devient le lieu où Kokoro fait la rencontre de six autres adolescent·es. Tou·tes sont les convives de l’énigmatique et sarcastique hôte cauchemardesque incarnée par une jeune fille au masque de loup.
Il est fascinant de voir comment le film emprunte de manière subversive de nombreux motifs et esthétiques classiques de l’isekai, genre traditionnel qui exploite les mondes imaginaires et surnaturels pour transporter un·e protagoniste japonais dans un monde d’évasion. Le château solitaire dans le miroir utilise cet environnement comme un cadre restreint qui permet aux sept lycéen·nes de révéler leurs défis personnels. Ces défis reflètent des luttes courantes auxquelles la plupart des gens sont confrontés, mais peuvent également déboucher sur des problèmes plus sombres, tels que l’intimidation, les tragédies familiales ou encore la mort.
M’entends-tu ?
L’amorce initiale, avec ses réminiscences du Petit Chaperon Rouge ou encore d’Alice au pays des merveilles et ses propos qui laissent présager le passage vers l’âge adulte, peut à première vue catégoriser le film dans la même veine innocente qu’abordent Mamoru Hosoda ou Makoto Shinkai. Cependant le film prend une tournure plus sombre et mystérieuse. Qui est cette jeune fille ? Pourquoi des règles sont imposées ? Qui est ce grand loup qui viendrait les dévorer si iels ne les respectent pas ? Tout ceci est-il au moins réel ? Le long-métrage prend son temps, peut-être trop quitte à nous perdre dans les divagations de chacun·es. L’ampleur visuelle qu’on pouvait avoir au commencement s’amoindrit pour devenir quelque chose de plus conventionnel. Les enjeux mettent du temps à s’installer mais paradoxalement on ressent une certaine tension, une menace qui plane sans savoir poser de suite son doigt dessus.
Ce n’est qu’à la conclusion du troisième acte que le film retrouve de l’ampleur et réclame l’attention des spectateur·ices. Les moments les plus captivants surgissent au sein d’une séquence de flashback, où nous plongeons davantage dans la vie du groupe d’adolescent·es de l’autre côté du miroir. Une séquence remplie de sincérité aux notions universelles. Un climax qui, en plus d’offrir une dimension dramatique, est une séquence visuellement bluffante de légèreté, de douceur et de couleurs éclatantes telle une lueur d’espoir dans ce sinistre château qui renferme les douleurs de tout le monde.
S’il a parfois du mal à trouver un certain équilibre, Le château solitaire dans le miroir a quelque chose d’important à communiquer. En tant que film destiné – principalement – aux jeunes adultes, il devrait servir de phare pour celleux qui ressentent intensément mais ont du mal à articuler leurs angoisses sociétales à celleux prêt·es à les écouter. S’il a beau être solitaire, ce château pourrait être vecteur de quelque chose de plus grand afin que chacun·e puissent se sentir aimé·e et écouté·e.
Le château solitaire dans le miroir réalisé par Keiichi Hara. Écrit par Miho Maruo. 1h56
Sortie le 6 septembre 2023