Œuvre majeure de la littérature fantastique du XIXe siècle, Dracula de Bram Stoker ne cesse depuis bientôt un siècle d’inspirer nombre de cinéastes. Le vieux comte est passé par tous les genres et qu’il s’agisse de son château en Transylvanie ou de son Abbaye de Carfax en Angleterre, le public connaît tout ou presque de son emprise méphitique sur le vieux monde. Il y a toutefois un épisode de son voyage que l’on aborde peu, ou uniquement comme transition éphémère, la traversée en bateau qui lui permet de rejoindre les côtes anglaises. Il n’en faut pas plus à André Øvredal pour en tirer Le Dernier Voyage du Demeter, film d’épouvante se déroulant lors de sa traversée.
Clemens, un jeune médecin cherchant à découvrir le monde, embarque comme marin à bord du Demeter, navire marchand chargé de transporter une cargaison de 50 caisses de terre des Carpates jusqu’à Londres. Alors que le bâtiment traverse des mers agitées, les marins commencent à disparaître un à un, victimes impuissantes d’une présence maléfique à bord.
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“Il y avait quelque chose à bord”
Un mois et une dizaine de pages, voilà ce que représente le voyage du Demeter dans l’œuvre de Bram Stoker. Un matériel d’origine assez chiche pour en tirer les presque deux heures du film. Et pourtant, cette dizaine de pages captive dans le roman. Le capitaine y tient son journal marquant chaque jour l’inquiétude grandissante d’un équipage sentant une présence à bord dont la dangerosité se fait grandissante. Toujours ressentie, jamais réellement aperçue, cette présence est Dracula dont les fringales nocturnes causeront la perte de tout l’équipage. Cet égrainage mortel se fait dans la subtilité, la discrétion et l’intelligence, le comte désirant avant tout être mené à bon port avec sa cargaison. Ces quelques lignes suffisent à révéler le potentiel du récit à créer un film à mi-chemin entre le slasher et le fantastique se déroulant pendant ce dernier voyage. C’est malheureusement également ce qui est la cause du premier des nombreux écueils sur lequel le film vient s’effriter. S’ouvrant à la fois sur un texte explicatif narrant le destin du Demeter, mais également sur une scène d’introduction montrant l’épave du navire et la mort de tout son équipage, le long-métrage retire instantanément tout élément de surprise à ses spectateurs.
Ce n’est hélas pas la dernière fois que le film se perd dans une logorrhée sur-explicative puisque, non-content d’avoir cité Dracula dans son carton d’ouverture, il prend le soin de créer le personnage d’Anna, une passagère clandestine, casse-croûte de voyage du comte, dont le rôle est d’expliquer le mythe du vampire et ses motivations. Est-ce vraiment nécessaire ? Uniquement écrit pour son rôle de pense-bête, le personnage se voit également rendu responsable du malheur s’abattant sur l’équipage à cause de son sexe (les femmes portent malheur à bord des bateaux.), croyance grotesque que le film valide en nous expliquant que si Clemens n’avait pas soustrait la jeune femme du garde-manger du comte, celui-ci ne s’en serait peut-être pas pris à l’équipage. Une superstition qui semble beaucoup plus dérangeante dans la tête des marins que de découvrir le bétail à bord massacré ou une chauve-souris de deux mètres de haut se promenant sur le pont.
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“La mer seule peut me protéger de cette créature”
Confinant au ridicule le plus total, l’apparence de Dracula nous ramène, dans son style, très loin en arrière aux monstres de caoutchouc des premiers films d’effroi. Elle recèle également l’ultime échec de la création du long-métrage. Les adaptations du mythe du vampire se rangent traditionnellement en deux catégories. D’une part celle du vampire bestial, tenant plus de l’animal que de l’homme, dont la force et la puissance le conduisent à faire un carnage sur son passage, et d’autre part celle du vampire mondain, se faisant passer pour un homme et usant de ruses et d’une fondamentale discrétion pour se repaître de ses victimes. Si l’une comme l’autre peuvent être amenées à s’emprunter quelques caractéristiques, on observe toujours cette séparation dans l’écriture de la créature. Ici aucun doute, c’est de la bête qu’il s’agit. Une chauve-souris humanoïde monstrueuse qui lacère et dévore ses victimes. Cependant, le long-métrage se réclame de l’œuvre de Stoker, et il lui est compliqué de trahir Dracula au profit de la bête. Par de maladroites insertions, le Gollum ailé d’Øvredal essaye de faire preuve de malice. Le mélange des genres entraîne alors le vampire dans des postures ridicules et des faux airs machiavéliques grotesques. Dès lors, la crédibilité du monstre n’est plus, et son impact sur le spectateur également.
Le responsable du naufrage n’est pas à chercher bien loin. Là où l’on pourrait avoir soit une adaptation fidèle se basant sur une peur subtile, soit une revisite complète du livre pour en faire un slasher violent qui tache, le long-métrage choisit de faire l’un et l’autre et aucun des deux. Le monstre est annoncé dans le carton d’ouverture, mais est traité comme un mystère à découvrir. Les personnages se laissent mourir dans des scènes violentes qui refusent de se dévoiler à nous. Le monstre rode hors champ, tue hors champ, mais se déplace avec de gros sabots nous permettant de le voir venir afin d’en expurger les dernières surprises possibles. Il faut attendre les dernières secondes du long-métrage pour qu’une scène de bar, à terre donc, nous fasse sentir un frisson de menace de la part du comte. Frisson vite disparu à la vue de ce dernier (encore plus ridicule habillé) et du discours mélo-vengeur d’un des protagonistes.
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D’une idée prometteuse sur une œuvre captivante, Le Dernier Voyage du Demeter ne livre rien de bien passionnant par manque de profondeur. Il ne suffit pas d’invoquer le plus célèbre des vampires, de tuer des gens dans le noir et de s’en prendre aux chiens et aux enfants pour créer une émotion. Avant de répondre à des poncifs, la peur a besoin d’une menace crédible et la tristesse de personnages attachants donc écrits. Le long-métrage se montre au mieux trop léger, au pire opportuniste, cherchant à se nourrir des thèmes, des combats et des monstres d’autres que lui dans le seul but de faire de nous ses victimes. Sur ce point, le film et son processus créatif sont de meilleurs vampires que leur monstre d’opérette. Heureusement qu’il s’agit du dernier voyage.
Le Dernier Voyage du Demeter, de André Øvredal, par Zak Olkewicz et Bragi Schut, avec Corey Hawkins, Aisling Franciosi, Liam Cunningham… 1h 58min.
Sortie le 23 Août 2023.