Jusqu’où sommes nous prêt·es à aller pour réussir, garder son statut et assurer un avenir solide à ses enfants ? Telles sont les quelques questions – parmi tant d’autres – que se pose Chad Chenouga dans son troisième long-métrage Le Principal. Inspiré de faits réels, le réalisateur convoque des sujets qu’il a déjà abordé auparavant comme le mensonge et ses conséquences ou comment trouver sa place auprès des adultes en tant qu’adolescent·e.
Sabri Lahlali est un exemple même de réussite. Issu des quartiers populaires, le cinquantenaire a réussi à gravir les marches de l’échelle sociale pour devenir principal adjoint d’un collège de quartier. Si son mariage a battu de l’aile et s’est soldé par un divorce, il peut être fier d’avoir un fils studieux promis à un brillant avenir. En plus de ça, sa promotion en tant que Principal est quasi signée. Alors que tout s’imbrique parfaitement, Sabri fait un faux pas. Persuadé que son fils ne va pas réussir l’épreuve d’histoire-géographie du brevet, il récupère les corrections pour les lui donner en guise de “fiche de révision” (sans que ce dernier ne soit au courant de ce que son père manigance). L’administration scolaire se rend compte de cette triche et ouvre une enquête, mettant l’avenir de l’adolescent sur la sellette et mettant, par la même occasion, Sabri dans une situation délicate. Doit-il se dénoncer quitte à perdre son travail ? Ou préfère-t-il risquer le futur de son fils ?
C’est dans un climat très froid que Chad Chenouga déroule son récit et nous présente son personnage principal : Sabri Lahlali. On comprend que c’est un homme qui a bataillé pour s’en sortir. Un principe de méritocratie qu’il essaie d’inculquer tant bien que mal à son fils. Comme souvent à cet âge-là, les études ne sont pas forcément la priorité numéro une bien que Rémy soit un élève sérieux avec d’excellents résultats scolaires. Comme si cela ne suffisait pas, il a également des relations compliquées avec son ex-femme qui est enseignante dans le même collège et qui a tourné la page depuis bien longtemps, rendant leurs échanges au travail parfois compliqués. Cerise sur le gâteau, Sabri doit chaperonner son frère, mentalement instable et incapable de suivre son traitement médicamenteux. Tiraillé et épuisé de toute part, il ne lui reste que la littérature, passion qu’il partage avec Estelle, la principale du collège.

Si on peut regretter une mise en place des enjeux assez longue, le réalisateur réussit à capter quelque chose de très intéressant chez son personnage principal. Là où les films sont censés proposer au/à la spectateur·ice un personnage auquel iel peut s’identifier – ou tout du moins être en empathie avec -, Sabri est tout l’opposé. Un personnage très froid et antipathique, toujours sur le dos de tout le monde et qui semble persuadé que c’est toujours la faute de l’autre. Malgré ce portrait peu glorieux, Chenouga brise la carapace à quelques moments-clés pour dévoiler un personnage qui cache une véritable peur qui le pousse à commettre l’irréparable. Roschdy Zem apparaît solide dans ce qu’il doit interpréter où beaucoup de choses passent par les regards et la posture. Droit comme un piquet, presque insondable, l’acteur réussit l’exercice haut la main. Le binôme littéraire qu’il forme avec Yolande Moreau (déjà formidable dans le précédent film du réalisateur De toutes nos forces) permet cette bulle d’air qui fait autant du bien à Sabri qu’à nous. En plus de représenter la seule personne qui semble comprendre Sabri, elle ajoute un arc dramatique qui sonne comme le coup fatal lorsqu’elle perd toute la confiance qu’elle lui avait accordée jusque là.
Une fois que les rouages sont mis en place et que l’écrasante machine du mensonge broie tout sur son passage, Sabri se retrouve emporté dans quelque chose où il n’a plus aucun contrôle. Tout part en vrille, tout le monde lui tourne le dos, il est désormais seul face à ses actions précédentes. Là où le long-métrage aurait pu blâmer encore plus son personnage principal, il décide de se tourner vers l’éducation nationale et ses petites manigances. S’il aurait pu être salvateur pour nous de voir Sabri réprimandé pour ce qu’il a fait, le réalisateur a préféré nous rappeler qu’il y a toujours plus pourri dans les hiérarchies supérieures, remettant en cause le concept de méritocratie pourtant si cher à Sabri en début de film. Un final très amer qui ouvre au débat quant à ce qui est acceptable ou non lorsqu’on a commis une faute. Est-il possible d’offrir une seconde chance (avec l’aide appuyée de supérieurs capables d’effacer les erreurs en un claquement de doigt) ou faut-il constamment punir et rétrograder celleux qui commettent des fautes au nom du mérite ? Une fin ouverte qui laisse songeur·se quant à ce que notre société est capable de faire pour dissimuler à leurs avantages les petites magouilles de chacun·e.
Même s’il peut manquer de mordant à certains moments, Le Principal a le mérite de poser les bonnes questions en nous offrant un personnage très complexe, emprisonné dans sa solitude et arrivant à un point de non retour. Un thriller qui prend son temps mais qui arrive à nous capturer, captiver et interroger tout du long autant sur nous que sur les autres.
Le Principal réalisé par Chad Chenouga. Écrit par Chad Chenouga et Christine Paillard. Avec Roschdy Zem, Yolande Moreau, Marina Hands… 1h22
Sortie le 10 mai 2023