Il est bien rare que le cinéma québécois nous déçoive. Après avoir clamé notre amour pour celui de Xavier Dolan et avoir été séduit·es par celui de Monia Chokri, c’est au tour de Stéphane Lafleur de nous étonner avec son cinéma qui allie étude sociologique et humour décalé. Huit ans après Tu dors Nicole (présenté notamment à la Quinzaine des Cinéastes), le réalisateur québécois revient en grande forme avec On dirait la planète Mars ou quand une fausse expédition tourne un peu au drame.
Si les plus grands ingénieurs de la NASA peuvent à peu près prédire les aléas des machines, vaisseaux et systèmes en tout genre, il est beaucoup plus compliqué de prédire les comportements humains. Dans cette optique, une branche canadienne de l’agence spatiale a recruté cinq anonymes, au critère de profils psychologiques similaires aux astronautes actuellement envoyés sur Mars. Le but de cette expérience étant d’anticiper les problèmes et les altercations qui pourraient se produire et mettre à mal la mission. Un postulat de départ surprenant qui trouve toute sa substance en la personne de David, quadragénaire qui porte le film à bout de bras avec ses aspirations et cette “nouvelle” vie qui l’extirpe d’un quotidien morose.

Combien de sucres dans le café ?
Stéphane Lafleur (accompagné d’Éric K. Boulianne à l’écriture) utilise un humour mordant sous couvert de normalité pour installer son dispositif. Tout est très sérieux, même trop sérieux. Le groupe de cinq est envoyé au beau milieu du désert pour recréer les conditions visuelles de la planète rouge. Iels possèdent tou·es une combinaison qu’iels sont obligé·es de mettre dès qu’iels sortent de leur abri et doivent reproduire ce que la véritable équipe est en train de faire. Si le film se veut choral, David (exceptionnel Steve Laplante au tempo comique irréprochable) est celui qui prend le plus d’ampleur. Chaque matin, il reçoit un rapport de John – l’astronaute qu’il représente sur Terre – dans lequel il lui raconte sa journée sur Mars, les problèmes rencontrés et l’état d’esprit dans lequel il est. Si John est de mauvaise humeur, David le sera également, provoquant de ce fait des ruptures de ton incompréhensibles pour ses coéquipier·ères, délicieuses pour nous. Si tout le monde prend cette mission plus ou moins à cœur, c’est quelque chose de beaucoup plus important pour David qui trouve là l’occasion de s’exprimer et de faire émerger le leader qu’il a en lui.
Le comique de situation constamment présent et la finesse d’écriture, notamment dans les dialogues, rendent le tout irrésistiblement drôle à l’image de l’aîné du groupe qui annonce aux autres qu’il est enceinte car son alter ego sur Mars est… une femme, ou lorsque David est contraint de convoquer une réunion d’urgence pour avoir le droit de mettre dans son café deux sucres au lieu d’un. Tout est pensé et écrit pour qu’on se moque d’elleux tout en y décelant une vraie sincérité dans la démarche et les personnages.
Le club des cinq
Derrière le ton caustique, Stéphane Lafleur analyse minutieusement les comportements humains qui ont tendance à s’exacerber lorsqu’ils sont en groupe. Si chacun·e y met de la bonne volonté au départ, les tensions s’accumulent et le un·e pour tou·tes et tou·tes pour un·e se transforme en chacun·e pour sa gueule et tant pis si j’écrase les autres. Le fait qu’iels sont obligé·es d’agir comme leur alter ego pose aussi la question du libre arbitre, à savoir s’iels auraient agit de la même façon sans ces contraintes. Sommes nous tou·tes condamné·es à être incapables d’agir convenablement en société ? Le réalisateur semble avoir sa réponse bien à lui et elle n’est pas des plus joyeuses.
Si l’écriture est irréprochable, sa mise en scène l’est presque tout autant. Avec des moyens restreints (ce qui avait d’ailleurs conduit Stéphane Lafleur à ne pas réaliser pendant huit ans), On dirait la planète Mars arrive à proposer un univers réaliste sans qu’il ne soit géographiquement reconnaissable : le Québec ? Les États-Unis ? Est-on vraiment sur Terre ? Lafleur s’amuse de ces questionnements tout en conservant des éléments du genre de science-fiction agrémenté de belles séquences oniriques qui n’ont pas à rougir des superproductions actuelles et sans compter l’influence de 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
Jolie prouesse pour Stéphane Lafleur qui continue d’élargir son spectre de cinéma en s’attaquant à la science-fiction à travers un film qui n’est pas sans rappeler l’absurdité française que peut proposer un Quentin Dupieux. On dirait la planète Mars est un délicieux moment de cinéma pince sans rire et absurde qui saura suscité l’intérêt.
On dirait la planète Mars de Stéphane Lafleur. Écrit par Éric K. Boulianne et Stéphane Lafleur. Avec Steve Laplante, Larissa Corriveau, Fabiola N. Aladin… 1h44
Sortie le 2 août 2023