Après le succès de Police Story 2, Jackie Chan voit les choses en grand et réalise un hommage au cinéma hollywoodien de l’avant-guerre. Big Brother, relecture hong kongaise de Grande Dame d’un jour de Frank Capra, est une superproduction d’envergure pour l’époque. L’échec commercial du film, à la hauteur de ses ambitions, est un coup de frein pour Chan et refroidit ses relations avec la Golden Harvest. Pour se relancer, il réalise Opération Condor, deuxième volet de sa trilogie Armour of God, qui cette fois est un grand succès à Hong Kong. Mais l’échec de Big Brother est toujours dans sa tête, et Jackie Chan souhaite désormais mettre le frein, raison pour laquelle il délègue la réalisation de ses films suivants. Il faut en effet attendre Chinese Zodiac en 2013 (suite d’Opération Condor) pour qu’il reprenne le poste de réalisateur. Ce qui ne l’empêche pas de garder un contrôle total sur ses productions, quitte à renvoyer le réalisateur en cours de route si la direction prise ne correspond pas à ses attentes. C’est par exemple le cas de Kirk Wong avec Crime Story, et Liu Chia-Liang avec Drunken Master 2, que Jackie termine lui-même.
Pour Police Story 3, il fait appel à son ami Stanley Tong. Ancien cascadeur depuis passé à la réalisation, son style impersonnel sied parfaitement à la volonté de Jackie d’avoir un technicien sur le plateau, lui permettant de garder le contrôle sur le film. La collaboration s’est depuis poursuivie avec Jackie Chan dans le Bronx, Contre-Attaque, The Myth, Kung-Fu Yoga, et le récent Vanguard. Dans Police Story 3, Ka Kui doit effectuer une mission d’infiltration, qui consiste à se faire passer pour un détenu d’une prison de Canton, y faire évader le bras droit du baron de la drogue Chaibat, afin de pénétrer son organisation. Pour cela, il doit faire équipe avec l’Inspecteur Jessica Yang (Michelle Yeoh), officière de la police chinoise. Dans ce troisième volet, Jackie Chan joue la carte du film de flic infiltré, une figure très présente dans le cinéma de Hong Kong car représentative du tiraillement de la ville entre son statut de colonie britannique et son origine chinoise.
Plus important, au début des années 90, Jackie Chan pense de nouveau tenter sa chance à Hollywood, et Police Story 3 est une manière de tester sa notoriété sur le continent américain. Le film lorgne du côté du buddy movie, genre phare du cinéma d’action de l’époque (48 heures, L’Arme Fatale, Tango & Cash, Le dernier samaritain…), par le tandem que forme Jackie avec Michelle Yeoh. Comme tout bon buddy movie qui se respecte, le film joue de l’opposition entre ses protagonistes, ici l’homme rigolard et la femme stricte. De même, l’acteur drague le public américain par des séquences d’action qui évoquent aussi bien les productions de Jöel Silver (la séquence dans la jungle pourrait très bien venir de Predator 2 ou L’Arme Fatale 2) que le cinéma de James Cameron (une poursuite entre un utilitaire et un hélicoptère qui évoque Terminator 2). Enfin, l’humour hong kongais pouvant laisser le spectateur occidental sur le carreau, Jackie Chan baisse la pédale dans ses numéros comiques. L’humour du film est bien moins présent que dans les deux précédents volets, et contenu principalement dans la dynamique entre Jackie Chan et Michelle Yeoh pour une prise de risque minimale à ce niveau.
Ce changement de ton fait une victime principale en la personne de Maggie Cheung, dont le rôle est largement réduit par rapport aux deux premiers films. Pire, son personnage semble avoir embarrassé Jackie Chan tant il ne sait pas comment l’utiliser. May disparaît du film pendant les deux tiers, avant de réapparaître pour le dernier acte par un concours de circonstances rentré au chausse-pied dans l’intrigue, et ce pour la dégager comme une chaussette du final. Sa mise en retrait se justifie par le ton du film, mais aussi parce que Maggie Cheung est désormais une actrice dont le talent a largement explosé (elle a tourné pour Ann Hui, Tsui Hark et Wong Kar-Wai), et que l’on imagine que l’actrice doit rechigner à n’être à nouveau réduite qu’à une simple potiche. Le traitement du personnage aurait néanmoins mérité une meilleure sortie, surtout en comparaison du développement qui en est fait dans Police Story 2.
Police Story 3 se démarque donc de ses modèles dans son ton, sans oublier d’être un grand film d’action, appliquant la formule de la suite plus grande et plus forte. C’est le cas lorsqu’elle reprend des passages comme la fusillade du début de Police Story qui vire ici à l’orgie d’explosions, mettant en avant le savoir-faire des cascadeurs et pyrotechniciens de Hong Kong, et où Jackie Chan se place dans les pas de Stallone ou Schwarzenegger en dézinguant de l’ennemi à la mitrailleuse. Ou encore dans le final à Kuala Lumpur où Michelle Yeoh se retrouve accrochée à un camion sur la route, comme Jackie Chan accroché au bus dans le premier film. Les deux comédiens constituent la grande réussite du film par leur implication totale dans l’action comme dans les cascades. À ce titre, si Jackie Chan fait toujours plus spectaculaire lorsqu’il se retrouve suspendu à l’échelle d’un hélicoptère ou qu’il se bat sur un train en marche, Michelle Yeoh incarne son pendant féminin par son charisme, ses capacités martiales et sa propension à réaliser ses cascades. La comédienne tient largement tête à son homologue lorsqu’elle saute en moto sur ce même train, ou qu’elle tombe sur une voiture au milieu de la route.
C’est ce qui fait de Police Story 3 un spectacle total et décomplexé comme seul le cinéma de Hong Kong était capable d’en produire. Le succès du film entraîne la production de Supercop 2 où Michelle Yeoh reprend son rôle, toujours sous la direction de Stanley Tong. La notoriété de Police Story 3 dépasse Hong Kong et agit comme une première étape avant que Jackie Chan dans le Bronx n’ouvre complètement les portes d’Hollywood à l’acteur, qui sombre dans des productions ultra calibrées et de plus en plus fumistes. Quant à Michelle Yeoh, sa carrière redécolle immédiatement après ce film, puisqu’elle tourne dans neuf productions entre 1993 et 1994, dont des longs métrages réalisés par Johnnie To (Heroïc Trio et Executioners) et Yuen Woo-Ping (Tai-Chi Master et Wing Chun). Le film a certainement dû jouer ensuite lorsque les Broccoli l’ont choisie quelques années plus tard pour incarner une James Bond Girl tenant la dragée haute à l’espion britannique dans Demain ne meurt jamais, qui constitue sa consécration internationale.
Quant aux trois premiers épisodes de Police Story, s’ils ne sont pas individuellement les meilleurs films d’action jamais réalisés (bien que le premier peut se classer dans cette catégorie), aucune autre trilogie d’action ne parvient à maintenir ce niveau sur trois films, à Hong Kong et ailleurs. Si les suites ne retrouvent jamais une telle intensité, Jackie Chan ayant clairement marqué le pas après Drunken Master 2 (bien que New Police Story soit une belle surprise à sa sortie), la saga est clairement celle qui représente le mieux la carrière de l’acteur.
Police Story 3 : Supercop, réalisé par Stanley Tong. Ecrit par Edward Tang, Fibe Ma et Lee Wai Yee. Avec Jackie Chan, Michelle Yeoh, Kenneth Tsang… 1h35
Sorti en salles le 26 Janvier 1994.