[CRITIQUE] Un hiver à Yanji : Émotions glacées, amours retrouvées

C’est une jolie histoire qui s’écrit pour Anthony Chen. Devenu le premier réalisateur singapourien à gagner la Palme d’Or du meilleur court-métrage avec Ah Ma (2007), il revient en 2013 avec Ilo Ilo qui repart avec la Caméra d’Or. Dix ans plus tard, il revient dans la section Un certain regard avec Un hiver à Yanji (The breaking ice en VO), son premier film réalisé en Chine.

Yanji est une petite ville au nord de la Chine, à la frontière de la Corée où les hivers sont rudes. Haofeng doit s’y rendre quelques jours pour un mariage qui ne l’intéresse guère. Il tombe par hasard sur Nana, une guide touristique pour qui il a une fascination inexpliquée, le poussant à rester plusieurs jours sur place. Elle lui présente son ami de longue date Xiao, cuisinier, et tous les trois s’embarquent dans un voyage où les secrets sont perçés à jour et où, chacun·e trouve un nouveau sens à sa vie à travers les décors enneigés de cette ville qui semble hors du temps.

Au fil de ses oeuvres, Anthony Chen a développé une thématique très forte qu’il tente de décliner à chaque fois : la place et les liens que peut tisser un étranger avec les autres. Dans Ilo Ilo, ce sont les liens qui unissent une assistante sociale philippine et le petit garçon de 10 ans dont elle s’occupe en plein coeur de Singapour. Dans Wet Season, c’est une enseignante malaisienne et son élève de 16 ans ; dans Drift, on suit le parcours d’un réfugié africain et un guide touristique américain. À chaque fois, le réalisateur aime décortiquer ces relations à travers le prisme de l’intégration. L’intégration au sens large du terme pour Haofeng qui ne semble juste pas trouver sa place dans ce monde. S’il est physiquement présent au mariage, son esprit semble ailleurs. Ses ami·es le charrient en pointant du doigt sa montre de luxe, il est embarqué dans une danse traditionnelle qu’il n’a clairement pas envie de faire pour finalement se retrouver seul dans la chambre de son hôtel. Si Nana effectue son travail de guide touristique avec entrain et sourire, la jeune femme ne le fait que par survie. En dehors de ça, elle ne trouve que de l’amusement auprès de son ami Xiao, qui lui rêve d’un ailleurs mais est cantonné au travail dans le restaurant de son oncle. Tous les trois sont en quête d’un quelque chose qui semble encore flou, des traumatismes qu’iels cachent et qui sont sur le point de ressurgir. En ça, l’écriture d’Anthony Chen touche à une douceur inégalée pour magnifier ses personnages et les rendre complexes. Les carapaces sont dures mais finissent par se fêler, comme durant la scène dans la boîte de nuit où Haofeng laisse couler une larme silencieuse en plein brouhaha.

© Nour Films

Le trio devient inséparable, comme un besoin de se raccrocher à quelque chose de concret. Tout au long du récit, on découvre les fêlures entre accidents de la vie, perspectives d’avenir inexistantes et l’envie de ne plus souffrir, tout simplement. Sans jamais plonger dans un misérabilisme ou un pathos qui serait facile, Anthony Chen déploie des moments magnifiques où l’on rigole (la scène dans la librairie où les trois s’inventent un jeu où le/la gagnant·e sera celuiel qui volera le plus gros bouquin) mais aussi où on s’émeut. Parce que si le trio porte le film sur ses épaules, les décors gigantesques et somptueux de Yanji et de ses alentours sont également un personnage nécessaire au récit. À travers un ultime pèlerinage jusqu’au lac Céleste, la caméra nous offre un paysage blanc et pur, comme une nouvelle page blanche à partir de laquelle nos héro·ïnes peuvent recommencer une nouvelle vie.

Un hiver à Yanji est un quator gagnant pour Anthony Chen avec Zhou Dongyu, Chuxiao Qu et Liu Haoran. Les trois acteur·ices infusent le film d’une sensualité et d’une douceur dévastatrice, d’autant plus quand leurs chemins finissent inévitablement par se séparer. Nouveau coup de maître pour Anthony Chen avec une oeuvre profondément belle, humaine et déchirante.

Un hiver à Yanji écrit et réalisé par Anthony Chen. Avec Zhou Dongyu, Chuxiao Qu, Liu Haoran… 1h37

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