Potato Dreams of America était l’un de nos films préférés de cette 47e édition du Festival de Deauville. À cette occasion, on a discuté avec son réalisateur Wes Hurley de la genèse de ce film pas comme les autres mais aussi de son amour pour le cinéma.
Ce film est la continuité de votre court-métrage qui abordait déjà votre récit autobiographique. À cette époque vous saviez déjà que vous vouliez en faire un long-métrage ou c’est venu plus tard ?
J’ai écrit le scénario de Potato Dreams of America en 2012. Avant d’avoir le budget nécessaire pour le faire j’ai eu une subvention de 4 500$ qui m’a permis de réaliser mon court-métrage Little Potato ainsi qu’un autre en réalité virtuelle, Potato Dreams. Par chance, mon court-métrage a rencontré le succès et m’a permis de trouver les soutiens nécessaires pour réaliser mon long-métrage.
- Le tout est basé sur de véritables évènements mais on peut supposer que vous avez romancé certains aspects. Comment vous avez trouvé la balance entre les deux ?
Environ 99% du film correspond à ce qui s’est passé dans ma vie que ce soit les situations ou les dialogues. Je n’ai pas du inventer quoi que ce soit. Cependant j’ai du énormément condenser et omettre certaines choses. J’ai du associer plusieurs personnages. Par exemple, j’ai été élevé par deux grands-mères mais j’ai décidé de n’en mettre qu’une seule dans le film. Ma mère a eu plusieurs petits boulots lorsqu’elle est arrivée aux États-Unis mais je n’ai parlé que de son travail dans le restaurant de tacos. Je pense que le véritable défi quand on décide d’adapter une histoire vraie c’est qu’il faut choisir ce qu’on ne va pas inclure. Mon beau-père souffrait de sérieux problèmes mentaux mais j’ai trouvé que sa paranoïa conservative et son secret étaient déjà des éléments qui prenaient beaucoup de place. Pour la partie en Russie, je voulais vraiment représenter le point de vue et l’esprit d’un enfant où tout est disproportionné. Je voulais rajouter un peu de “magie” tout en gardant un certain réalisme pour que le/la spectateur·ice, je l’espère, face la différence entre la réalité et les métaphores comme Jésus qui prend vie et qui devient un ami pour Potato car il a une place importante dans sa vie.
- Comment s’est déroulé le casting de celleux qui allaient incarner les personnages ? Dans votre court vous jouiez votre propre rôle, vous n’aviez pas envie de le reprendre pour celui-là ?
J’ai commencé en tant qu’acteur mais je suis bien trop vieux désormais pour jouer un lycéen. Les idées que j’avais pour le casting ont évolué petit à petit. Dans un premier temps je voulais que tous les garçons soient joués par de jeunes femmes – comme dans la tradition théâtrale où les femmes jouaient des rôles d’hommes -. Je me souviens avoir partagé mon scénario avec Gregg Araki qui m’avait fait cette remarque comme quoi il fallait que je fasse confiance à mon histoire et d’éviter de m’aventurer dans idées un peu trop avant-garde. Alors je me suis dit que si Gregg Araki avait cette réflexion, les spectateur·ice·s qui verraient le film pourraient l’avoir aussi donc j’ai décidé de le rendre un peu plus accessible. Le casting a joué un rôle important dans la création de ce film. J’avais d’abord écrit le scénario pour Marya Sea Kaminski pour le rôle de Lena. Quant au rôle de la grand-mère j’avais Lea DeLaria sans savoir si elle accepterait de jouer donc j’étais ravi lorsqu’elle nous a dit oui. Pour le rôle de Potato, j’ai commencé mes recherches sans même avoir l’argent pour faire le film. J’ai malgré tout commencé les castings car je me suis dit qu’il me faudrait du temps pour trouver le parfait acteur mais il s’avère que j’ai rencontré Hersh Powers le premier jour des auditions. Mon producteur et moi on s’est regardés et on savaient que c’était l’acteur idéal et que par conséquent il fallait trouver les financements pour tourner le film avant que Hersh ne grandisse. Donc je remercie encore Hersh grâce à qui le film a pu se faire;
- Il y a une vraie cession entre la partie en Russie et celle aux États-Unis notamment au niveau de la mise en scène. Pouvez-vous nous expliquer vos choix ?
La Russie où j’ai grandi n’existe plus. Je voulais vraiment proposer un univers sombre et onirique à travers les souvenirs d’un enfant comme une pièce de théâtre jouée par un enfant. Potato est fasciné par la chrétienté donc je voulais des références picturales avec Le Caravage ou encore Artemisia Gentileschi où on a un univers très baroque, claustrophobe qui a tendance à exagérer de désespoir un peu à l’image de la Russie à l’époque. Ensuite on part à Seattle dans les années 90 et c’est tout de suite une image beaucoup plus lumineuse, on a tourné beaucoup plus en extérieur. Je voulais que le/la spectateur·ice puisse capter ce sentiment de liberté et de possibilité qu’on ressent lorsqu’on immigre. Je voulais que ce changement soit aussi détonnant que possible comme si était dans un autre film. Nous avons même plusieurs compositeurs. Pour la partie russe on a travaillé avec Joshua Kohl dont le travail était plus théâtral et expérimental. Pour la partie américaine on a fait appel à Catherine Joy qui a apporté quelque chose de plus sentimental.
- Le film aborde deux sujets majeurs. Évoquons d’abord l’identité chez Potato qui, une fois aux États-Unis veut tout faire pour l’effacer, perdre son accent etc… C’était quelque chose de vraiment important pour vous de vous conformer aux autres à cette époque ?
Oui. Quand je suis arrivé aux États-Unis, tout ce que je voulais c’était rentrer dans le moule et profiter de ma nouvelle vie en faisant comme si le passé n’avait jamais existé. Cependant c’était impossible et frustrant car mon anglais était tellement mauvais que les gens ne me comprenaient pas. Ils ne me permettaient pas d’oublier d’où je venais. Beaucoup d’Américains – surtout les libéraux – ont ce complexe où ils pensent qu’ils n’ont pas de culture à eux donc quiconque provient d’un différent pays – notamment l’Europe – est considéré comme exotique et excitant.
- Et le deuxième sujet est le coming-out. Un coming-out qui se fait d’ailleurs dans une scène entre Potato et sa mère absolument magnifique, pleine de douceur et de bienveillance. Comment s’est passé l’écriture de cette scène ?
Je ne prends aucun mérite pour cette scène. La conversation qu’a Potato et sa mère est exactement la même que j’ai eu avec ma mère donc c’est surtout grâce à elle que cette scène existe.
- On a vu que la figure de la mère était importante dans le film mais également dans la vraie vie puisque votre mère était présente à Deauville. Est-ce qu’elle a également fait partie du processus de création du film ?
Ma mère n’a pas participé à l’écriture du film mais j’ai bien évidemment voulu rester fidèle à ce qui s’est passé dans nos vies. Beaucoup des dialogues qu’elle dit dans le film sont des choses qui ont vraiment été dites. Ma mère a le sens de l’humour donc j’ai essayé aussi d’infuser cet esprit tout au long du film.
- Le cinéma américain a une place importante que ce soit dans le film mais aussi dans la vie de Potato. Quels sont les films qui ont marqué votre vie ?
Je vis et je respire cinéma, tous les genres, toutes les époques et toutes les nationalités. Je pense – comme beaucoup de gens – que le cinéma m’a parlé à différents moments de ma vie. Lorsque j’étais enfant en Russie, j’avais désespérément besoin d’un échappatoire et de trouver de l’espoir quelque part. Les happy endings des films Hollywoodiens m’ont littéralement sauvé la vie. Des films comme La P’tite Arnaqueuse, Quand les jumelles s’emmêlent, La famille Addams, Y a-t-il quelqu’un pour tuer ma femme ?, Beetlejuice ou encore Batman Returns tournaient en boucle dans notre appartement. Mais quand je suis arrivé aux États-Unis où ma vie était devenue bien moins stressante, je n’ai plus eu besoin de ce genre de films. C’est à ce moment-là que j’ai élargi mon spectre et j’ai découvert énormément de films grâce à la collection Criterion : John Waters, Fassbinder ou encore Derek Jarman étaient de grandes inspirations parce que de petits budgets ne les empêchaient pas de raconter des histoires passionnantes. En tant que jeune réalisateur sans argent ou relations à Hollywood, je me suis senti reconnaissant parce que j’ai pu observer leurs approches pour raconter des histoires. C’est ce qui m’a donné le courage de devenir réalisateur. Cependant, les trois réalisateurs que j’admire le plus sont Pedro Almodovar, David Lynch et Paul Verhoeven. J’aime l’idée de prendre ces histoires excentriques et étranges pour en faire un art encore plus développé. Ce mariage entre cinéma intellectuel et cinéma plus populaire est quelque chose qui me parle énormément. Et plus je vieillis plus je m’intéresse au cinéma plus ancien des films muets aux années 50. J’aime le style visuel, l’écriture – précise, aiguisée -. Dans le cinéma muet j’adore ce côté très pur qu’a l’acting qui ressemble presque à une danse. Je suppose que les films muets américains étaient notamment faits pour les immigrants qui ne parlaient pas anglais. Quel beau challenge de raconter une histoire sans dialogue qui puisse parler à n’importe qui n’importe où.
Merci à Wes Hurley d’avoir répondu à nos questions.