Sept années nous séparent de la dernière proposition de Brian de Palma, Passion. Sept longues années durant lesquelles nous nous sommes interrogé·e·s sur le futur du cinéaste, et sa potentielle continuité de carrière. À l’instar d’un Paul Verhoeven qui galère depuis quelques temps à peaufiner son Benedetta faute de budget, d’un David Cronenberg qui a laissé entrevoir sa volonté d’arrêter le cinéma tant aucun·e investisseur·se ne s’intéresse à lui, le réalisateur commence à laisser frileu·ses·x les producteur·ice·s, si bien que malgré son nom et sa renommée, Domino est annoncé comme un film qui ne sortira pas en salles mais immédiatement en vidéo à la demande.
Pourtant, avec un palmarès tel que Phantom Of The Paradise, Scarface, Blow Out, Les Incorruptibles, Snake Eyes ou encore Redacted, on a du mal à imaginer un tel cinéaste relayé à une oeuvre qui a perdu son pari d’avance et qui voit le rejet des distributeur·ice·s. Quelle que soit la qualité du métrage, le réalisateur a un nom qui devrait à lui seul suffire à rameuter les curieu·ses·x. Mais à l’ère du tout Disney, il est difficile pour un·e réalisateur·ice vieillissant·e de trouver sa place, même quand iel a un nom tel que Brian de Palma.
Pourtant, au sortir de la salle, on commence à comprendre pourquoi les pontes de Metropolitan ne se sont pas risqué·e·s à la distribution en salles. Domino est très mauvais, et c’est peu dire. Le film tente l’exercice d’enquête sur un réseau terroriste à travers différents attentats. On y suit un policier danois, qui à la mort de son coéquipier remonte la piste dudit réseau, mais aussi du meurtrier en question, en quête contre le même réseau, pour sa part récupéré par la CIA. Tous les gimmicks de réalisation de De Palma sont là, des cadres improbables avec ce constant effet de dézoom, le split-screen – poussé à l’extrême -, la musique de Pino Donaggio, et une volonté de constamment être sous tension. Au service de films de genre ou d’un polar qui essaie de créer le décalage volontairement, ça peut se justifier, mais tout ici tente en vain d’être trop sérieux pour que les artifices prennent forme. De Palma a toujours été un cinéaste tape-à-l’oeil, dont le formalisme perdait souvent la raison, qui a utilisé ses abus de style pour justement se créer une patte reconnaissable, à condition que cette dernière serve son propos. Il n’a d’ailleurs jamais hésité à mettre de côté ses accents parfois vulgaire lorsque c’était nécessaire pour tenir le sérieux d’un récit (on pense à L’impasse, à Redacted), mais se perd ici dans ses propres attributs qu’il dégueule sans savoir qu’en faire.

Ici, les cadres sont souvent ridicules et sans ambition. On pense notamment à l’un des tous premiers plans, où l’oubli de l’arme de service du personnage principal cause la perte de son coéquipier. On voit le personnage quitter son appartement, et la caméra zoomer jusqu’à l’écœurement sur l’arme en question, avec une grosse musique bien lourde en crescendo. Pino Donaggio, fier d’avoir écrit la bande originale “la plus complexe de sa carrière” est complètement à côté de la plaque, chaque intervention provocant le rire par éclats, au même titre que les révélations absurdes d’un scénario idiot à souhait. Reste le split-screen, où le commanditaire de l’attentat observe son martyr d’une tablette. Vidéo qui sera relayée sur un site, ce qui aurait pu lancer un sous-texte sur l’appropriation de l’espace vidéo-ludique par les réseaux terroristes pour asseoir une position de terreur, mais ç’aurait été trop en demander. Chaque effet semble faire l’objet d’une commande, comme si l’on avait demandé à un étudiant en cinéma de filmer “à la manière de De Palma” (réflexion déjà faite devant Anna de Luc Besson, présentant ce même effet à la limite du parodique) sans y mettre la moindre maîtrise.

Au-delà d’un aspect technique aux fraises, l’histoire qui nous est contée se perd dans des déboires inutiles. En témoigne le personnage de Carice Van Houten, avec pour seul trait de caractère “ton amant est mort, tu te venges”. À croire que le rôle a été constitué de toute pièce pour avoir un personnage féminin – le seul, avec la martyr, d’ailleurs -, et surfer sur la “hype” Game Of Thrones aux côtés de son comparse Nicolaj Coster-Waldau, qui pour sa part se débrouille comme il peut face à un rôle inconsistant. Guy Pearce, troisième annoncé en tête d’affiche, parvient à se faire remarquer malgré le peu de scènes qui lui sont allouées, son jeu très surfait collant au style tape-à-l’oeil de De Palma. Les protagonistes sont creu·ses·x, jamais développé·e·s et ne servent qu’à faire avancer un scénario juché sur ses rails. Le fameux “effet domino”, censé jouer sur les échos d’attaques et leurs répercussions, est totalement biaisé. Le pseudo effet choral ne prend jamais d’ampleur, exposé de manière totalement linéaire. Aucune double lecture quant à notre rapport à la peur du terrorisme, juste une légère critique sur les bassesses menées par la CIA pour arriver à leurs fins. Autrement dit, rien de nouveau, si ce ne sont des choses déjà vues et de manière bien plus pertinente.
Domino est un ratage complet, avec un De Palma qui semble en bout de course. Tant dans son fond que dans sa forme, il est le témoin d’un cinéaste qui ne croit plus en sa capacité à raconter des histoires, au profit d’un scénario qui n’avait que peu d’intérêt à la base. Il semblerait que les deux prochains projets sur lesquels il s’atèle sont également écrits par lui, ce qui peut laisser entrevoir un minimum d’implication supplémentaire. Si on n’a ne serait-ce qu’un bon film, ce sera déjà ça.
Domino, La Guerre Silencieuse de Brian De Palma. Avec Nicolaj Coster-Waldau, Carice Van Houten, Guy Pearce…1h29.
Sortie le 12 octobre en VOD
[…] Thierry avait déjà fait une chronique de Domino lors de sa sortie, que vous pouvez retrouver ici […]