Quatre ans après le biopic plutôt réussi qu’était Jackie, Pablo Larraín revient pour incendier nos écrans, un an après son passage à Venise. Cette fois, on quitte la pureté de la Maison Blanche et la pâleur des apparats de la veuve Kennedy pour une tornade de couleurs vives, un ouragan dansant à travers l’histoire d’Ema. Nouveau portrait de femme donc, mais un style radicalement différent.
Ema (Mariana Di Girolamo) est danseuse et professeure de cette même pratique dans une école. Mariée à son chorégraphe Gaston (Gael García Bernal), elle n’est plus heureuse depuis qu’ils ont rendu Polo, l’enfant qu’ils avaient adopté, après un drame provoqué par ce dernier. Commence alors pour Ema une quête de liberté, et surtout une volonté de prouver sa capacité à être mère, dans une société la mettant de côté. Car Larraín offre ici une pure plongée dans la folie d’individus marginaux, incontrôlables. La scène d’introduction résume parfaitement la situation. Une cacophonie composée de la danse, des disputes du couple, et des recherches de l’enfant. Un moment de cinéma brut et abouti, annonçant la couleur et qui place la barre haute pour le reste de l’oeuvre. Le feu sacré sommeillant en Ema ne demande qu’à se réveiller et irradier une société enfermée dans des carcans désuets. Déconstruction du couple, de la parentalité classique, on a là une œuvre incandescente, qui saisit et fracasse tant nos yeux que nos préceptes.

Car oui, Ema n’est pas un film simple à appréhender. Larraín explore la psyché de personnes dérangées, rongées par elles-mêmes mais qui méritent une vie normale. La musique de Nicolas Jaar, alliée au sens du découpage du cinéaste donne lieu à des moments quasi transcendantaux, sensoriels, dans lesquels l’expression corporelle est un véritable cri du cœur, un symbole de liberté envoûtant et frappant. La chair devient vectrice d’émotions fortes, de remise en cause des a priori sociaux sur une catégorie de personnes. L’image sublime le reggaeton (chose qui semble impossible de prime abord), et Mariana Di Girolamo envahit l’écran et nos esprits à chacune de ses prestations. D’une grande justesse, elle jongle parfaitement entre les registres tout en gardant un côté sincère, profondément touchant malgré les exactions qu’elle commet. Au même titre que Bernal, son personnage n’est pas “aimable”, on ne peut pas vraiment s’y identifier, mais la fragilité qui les habite et qu’ils véhiculent en parallèle de leur férocité, crée une ambivalence face à laquelle on ne sait comment se situer. Cette ligne fine sur laquelle joue le metteur en scène peut déranger, mais agit comme une déclaration de tolérance envers ces “freaks” contemporains, étranges mais humains comme nous.
La violence qui parcourt le récit, alliée aux manipulations malsaines du protagoniste, nous happe donc et Ema s’avère être un petit choc de la rentrée. On regrette pourtant que Larraín ne s’en tienne pas à sa narration visuelle pour asséner un final d’une lourdeur insupportable. La folie insidieuse, largement compréhensible, donne place, comme à quelques reprises déjà pendant le film, à des dialogues vains, résumant l’intrigue avec un côté quasi superficiel. Reste que, la brûlure laissée par le film, atténuée par sa conclusion, est de celles qui font se sentir vivant, comme une petite gifle torride qui hante et rappelle la puissance de l’image, comme un ultime rayon de soleil estival qui fait des ravages…
Ema de Pablo Larraín. Avec Mariana Di Girolamo, Gael García Bernal, Paola Giannini, … 1h42
Sortie le 2 septembre 2020.
[…] par un nouveau portrait s’opposant à l’adversité d’un monde qui l’asphyxie (Ema) tout en voulant révéler un être profondément tragique derrière l’apparat médiatique […]