Un Monde est le premier long-métrage et la deuxième réalisation, après le court-métrage Les Corps étrangers (2014), de la réalisatrice belge Laura Wandel. Le film, construit autour de deux frère et soeur, Nora et Abel, représente un message puissant sur la dangerosité et l’aspect non-maîtrisable du harcèlement scolaire.
Ce qui, dans Un Monde, frappe immédiatement et rayonne bien au-delà du visionnage du film, c’est son procédé de mise en scène. Afin de représenter l’intensité de l’agressivité dont les enfants sont capables de faire preuve, et à quel point celle-ci peut marquer l’esprit de ces jeunes êtres, Laura Wandel opère un choix radical : jamais la caméra ne prend de hauteur sur les enfants. Il ne s’agit pas ici d’un simple choix esthétique, ce procédé nourrissant le récit tout en en étant le coeur même. Effectivement, chaque séquence prend véritablement sens par le fait que nous y sommes plongés, comme témoins ou complices, exactement au même niveau que ces enfants de primaire. Chaque image renferme en elle une puissance certaine, l’identification du spectateur aux enfants étant à la fois forcée par le procédé mais également acceptée dû à l’intelligence d’écriture du film.
Dans Un Monde, tout fonctionne via son rapport au nombre. Tout d’abord, la bande de garçon qui harcèle Abel semble menaçante et incontrôlable par la différence numéraire notable dans le rapport harceleurs/harcelé. Inquantifiable, la quantité réelle d’élèves participant activement ou passivement au harcèlement de Abel semble toujours trop élevée pour être maîtrisée. Cependant, Abel n’est pas véritablement seul, celui-ci forme un duo avec sa soeur Nora, celle-ci étant d’ailleurs au centre du récit. Car, outre son atypique choix de mise en scène, la seconde grande idée du film de Laura Wandel réside en l’adoption, non pas du point de vue du garçon harcelé ou harcelant, mais de celui de la soeur de la victime. En cela, le long-métrage de Laura Wandel crée une bulle autour de cette fraternité, Abel n’étant vu qu’à travers le regard que sa soeur lui porte. La seule personne pouvant véritablement, à de rares moments, percer cette bulle afin d’y entrer, est le père des deux enfants. Se comptant au nombre de un, la figure paternelle essaye, par un investissement et une implication remarquable, d’être présente dans la vie et l’éducation de Nora et Abel. Solitaire, le père est également impuissant. En témoigne la séquence au sein de laquelle celui-ci, invisible derrière les barreaux de la cour de l’école, prend, auprès de Nora, des nouvelles sur l’éventuel harcèlement immédiat de son fils au sein de cette même cour. Les seuls adultes pouvant véritablement agir afin de protéger Abel, sont ceux constituant le corps enseignant de l’école. Nombreux, ceux-ci se révèlent cependant inefficaces et bien souvent à l’ouest de ce qui se passe réellement au sein de leur établissement.

L’absence et l’impuissance des adultes est, de plus, soulignée par cette caméra constamment à hauteur d’enfant. Notre vision des adultes s’arrête souvent à leur ceinture, voire à leur ventre, mais les visages de ceux-ci n’apparaissent que lorsqu’ils font l’effort de se baisser au niveau de ces enfants. De plus, le film est constamment shooté en focale longue. Ce choix, de la réalisatrice et de son chef opérateur Frédéric Noirhomme, appuie cet état de transparence des adultes au sein du film qui, toujours en marge des enfants, à l’arrière-plan, se retrouvent constamment flous.
Rappelant, par moments, le film Después de Lucia (2012) de Michel Franco (dont le dernier long-métrage Nouvel Ordre est présenté au sein de la sélection Coups de coeur du festival), et le rejoignant à la fois sur la représentation de la cruauté infantile mais également sur la manière dont il questionne la position du spectateur face aux événements, Un Monde parvient à trouver un équilibre constant entre la place prise par son procédé technique et les divers choix narratifs qu’il entreprend. Celui-ci porte un message fort sur le harcèlement scolaire et ses conséquences, et questionne autant le rôle de l’harceleur, de l’harcelé que du témoin.
Un monde, de Laura Wandel, avec Maya Vanderbeque, Günter Duret, Elsa Laforge…1h13…Sortie prévue le 26 janvier 2022