Ce n’est ni le meilleur film de Walter Hill (loin s’en faut) ni la meilleure production de la Carolco (c’est le moins que l’on puisse dire) ni même le meilleur film dans lequel Arnold Schwarzenegger tient le haut de l’affiche (inutile de préciser la liste des œuvres qui le précèdent). Pourtant ce Double Détente n’est pas dénué d’intérêt et se pose même à une période charnière des trois protagonistes cités.
Pour Schwarzenegger, dont le star power est croissant depuis le carton de Predator, il s’agit du plus gros budget de sa carrière avec pour objectif de se positionner comme numéro un du cinéma d’action face à Sylvester Stallone, qui sort la même année Rambo 3. Il s’agit par ailleurs de son premier film produit par la Carolco, studio indépendant spécialisé dans le blockbuster d’auteur (Angel Heart, Total Recall, Terminator 2) justement derrière la trilogie Rambo. Enfin pour Walter Hill qui enchaîne le tournage juste après avoir terminé Extrême Préjudice (produit également par la Carolco), c’est l’occasion de renouer avec le succès.
Il revient au buddy movie policier, genre phare du cinéma d’action des années 80 que le réalisateur a lui-même popularisé avec 48 heures en 1982. Le genre est si plébiscité que toutes les grandes stars se retrouvent à former un tandem y compris celles qui tiennent habituellement seules l’affiche comme Robert De Niro dans Midnight Run, Clint Eastwood dans La Relève, Stallone dans Tango et Cash ou Bruce Willis dans Le dernier samaritain. C’est naturellement que Schwarzenegger partage l’affiche avec James Beluschi, le premier incarnant un flic russe faisant équipe avec un flic américain pour coincer un trafiquant de drogue soviétique.
Car nous sommes en 1988, et l’Union Soviétique existe toujours, bien que la Perestroïka soit active depuis 1985, entraînant un rapprochement entre les États-Unis et l’Union Soviétique symbolisée par la figure de Mikhaïl Gorbatchev appréciée en Occident. Ironie de l’histoire, Sylvester Stallone sort Rambo 3, où le personnage affronte en Afghanistan des soldats de l’URSS aidé de rebelles afghans, rendant le film presque instantanément caduc, le conflit touchant à sa fin (Gorbatchev annonce en Février 1988 le retrait des troupes du pays). Mais revenons à son rival autrichien qui incarne dans Double Détente le Capitaine Ivan Danko de la police russe. Ce dernier a pour mission d’appréhender le trafiquant de drogue Viktor Rostavili (Ed O’Ross), mais il échoue et Rostavili s’échappe aux États-Unis. Repéré à Chicago, Danko se rend sur place pour l’arrêter et l’extrader en URSS, ce qui l’amène à faire équipe avec l’inspecteur Art Ridzik (James Beluschi), à deux doigts de se faire virer pour son insubordination et ses multiples arrestations ratées.
L’introduction du film met en évidence l’efficacité narrative de Walter Hill. Après un générique mettant en image la Place Rouge (faisant du film le premier métrage américain depuis la Seconde guerre mondiale tourné sur place) sous la musique de James Horner (nouvelle collaboration du compositeur avec le réalisateur après 48 Heures), le cinéaste imprime immédiatement à l’image le personnage de Danko. Il suffit de deux plans sur l’imposante carrure de Schwarzenegger et de quelques bourre-pifs pour poser le personnage. Walter Hill n’est pas réputé pour faire de fioritures ou de la demi-mesure et le démontre à nouveau lorsque chaque personnage de l’intrigue se trouve introduit et caractérisé en une séquence.
Buddy-movie oblige, Double Détente contient les passages obligés du genre, notamment dans la relation entre les deux personnages qui se détestent avant de s’apprécier progressivement. Comme il s’agit d’un russe et d’un américain, on n’échappe pas à quelques clichés du genre sur la démarche raide de l’officier russe ou le fait qu’il découvre les États-Unis en mangeant un hamburger. Plus généralement, on est dans le territoire bien connu du cinéma viril de Walter Hill, d’autant que le film reprend quelques passages de 48 heures, de la fusillade dans le motel jusqu’à la poursuite finale entre deux camions.
Difficile hélas de ne pas voir Double Détente comme une version moins réussie de 48 heures, et la distribution n’y est pas étrangère en plus de l’écriture de certains personnages. Art Ridzik est la caricature du side-kick râleur, une sorte de sous-Réggie Hamond sans le charisme d’Eddie Murphy. James Beluschi est certes un bon acteur comme il l’a prouvé chez Michael Mann ou Oliver Stone, mais il apparaît ici comme une erreur de casting. Enfin Ed O’Ross, sympathique second rôle des années 80, incarne un méchant plus fade que ne l’est James Remar dans 48 heures. Le film comporte certes son lot de seconds rôles savoureux (Lawrence Fishburne, Brion James, Gina Gershon) et se repose sur le charisme de son acteur principal mais se rate sur deux rôles primordiaux.
Mais surtout, le film marque le début du déclin de Walter Hill en tant que réalisateur. Extrême Préjudice apparaît comme son dernier grand film à la vision de Double Détente. Si l’on reconnaît son style à l’essentiel et sans fioritures, sa mise en scène se relève plus molle qu’à l’habitude, plombée notamment par des inserts ou raccords qui ralentissent par moments l’action. Son savoir-faire reste toutefois visible à l’écran et lui permet d’emballer quelques séquences d’action très sympathiques comme la fusillade dans l’hôtel ou la poursuite finale. Le film reste sympathique et jamais désagréable, mais loin des grands moments de la carrière du réalisateur dont la carrière marque véritablement le coup dans Johnny Belle Gueule, son film suivant.
Sans être un échec, Double Détente réalise un score en-dessous des attentes au box-office mais marque le début d’une collaboration fructueuse entre Schwarzenegger et la Carolco, qui produit quelques années après Total Recall puis Terminator 2. Un film qui ne marque ni le genre ni la carrière de ses instigateurs, mais reste un film suffisamment efficace et violent pour être sympathique.
Double Détente, réalisé par Walter Hill. Écrit par Harry Kleiner, Troy Kennedy Martin et Walter Hill. Avec Arnold Schwarzenegger, James Beluschi, Ed O’Ross… 1h44.
Sorti le 6 Juillet 1988.