Scala

[FOCUS] Scala !!! : Freaks out !

Dans notre chère Paris, planqué dans le quartier latin et à l’abri des multiplexes se terre le Studio Galande, qui tous les samedis soirs propose une séance du Rocky Horror Picture Show, sans manquer le moindre rendez-vous. S’y rencontrent des âmes étranges, simples curieux·ses venu·es tenter l’expérience et découvrir le film dans des conditions appropriées et amoureux·ses de tout ce que l’œuvre de Jim Sharman évoque. Un théâtre d’étrangeté comme il en subsiste encore quelques-uns dans l’hexagone. Toujours à Paris et dans un autre registre, on se rappelle des soirées Panic ! au Luminor où nous avions pu regarder Sailor et Lula arrosé de 8.6 et avec un filet protégeant l’écran, nous permettant de lancer nos canettes vides ou autres envies du moment. Ces séances existent encore mais, comme l’Étrange Festival, représentent des épiphénomènes cadrés que l’on savoure une fois par an.

De l’autre côté de la Manche, au centre de Londres, le rendez-vous des amateur·ices de contre-culture se voulait quotidien et se passait au Scala, boîte de Pandore remplie d’étrangetés diverses, aujourd’hui immortalisé dans le documentaire Scala!!!, orchestré par Ali Catterall et Jane Giles. L’un considère que c’est ce cinéma particulier qui a forgé son éducation, l’autre y a été programmatrice, autant dire que nous avons des personnes bien placées pour évoquer ce lieu spécial. Salle de spectacle qui a fait ses armes dès son ouverture en 1972 avec Iggy et les Stooges ou une prestation foirée de Lou Reed, elle est surtout la salle de cinéma référence de toutes les communautés ostracisées du Londres moderne. Sexploitation, horreur, films de kung-fu qui ne trouvaient pas leur place dans les distributions grand public, le cinéma était le rendez-vous pour découvrir ce que l’on ne verrait pas ailleurs, et ce tous les jours. Peut-on imaginer voir dans la même semaine Les diables de Ken Russell, Salo ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, Les guerriers de la nuit de Walter Hill ou encore Le désosseur de cadavres de William Castle ? Une telle programmation attire une masse de freaks venu·es de tous horizons. Certain·es affublé·es de déguisements improbables – on retient le look de Boy George, venu régulièrement avant le succès de Culture Club sans que personne ne le reconnaisse –, d’autres venu·es pour l’ambiance et ne regardant pas les films. Plus qu’un cinéma, c’est un microcosme avec son ambiance bien à lui, où des formes de débauches prennent vie, ce qui dans l’enceinte du Scala s’apparente à un lundi comme les autres. Car au Scala, personne ne se juge, des adeptes de Laurel et Hardy qui se rejoignent, déguisés pour une séance spéciale, puis qui restent pour la séance suivante, un film à la limite du porno qui ramène les jeunes gays des bars alentours venus car ils se savent en sécurité. 

Scala!!! n’a pas la prétention d’avoir une narration spéciale ou d’apposer un point de vue autre qu’une documentation historique. Il est surtout là pour témoigner et se faire le conteur d’une époque désormais révolue – le lieu existe encore mais n’est plus qu’une salle de concert à louer. Des adeptes venu·es maintes fois se régaler sur une programmation éclectique et surtout étrange aux artistes qui y ont proposé leur œuvre – certain·es devenu·es aussi habitué·es des séances –, les personnes que nous sommes amené·es à rencontrer sont variées en ce qu’elles ne correspondent pas forcément aux archétypes que l’on imagine. Ainsi, le témoignage d’une dame âgée, très discrète et que l’on verrait bien venir au séances du dimanche matin de son cinéma de quartier nous raconte ce qu’elle y voit, nous parle de zombies, de cul, de Massacre à la tronçonneuse qu’elle adore, et surtout émet son incompréhension sur la classification des films qu’elle voit au Scala, les trouvant tout à fait normaux. “Ce n’est pas parce que j’ai vu ce film que je vais sortir tuer des gens avec une tronçonneuse, il faut être idiot pour penser cela”, rappelle-t-elle. D’autres témoignages voient une illustration dessinée appuyer leur propos quand ils expliquent qu’au Scala, on pouvait tout à fait ignorer la séance et se retourner pour admirer un tout autre théâtre de curiosités. Et que dire quand John Waters, le pape des midnight movies lui-même, affirme qu’il a vu des choses bien plus choquantes dans la salle que sur l’écran où étaient projetés ses films ? Quiconque ayant déjà vu Pink flamingos comprendra qu’au Scala, la vérité est ailleurs.

Rappel que les temples de contre-culture sont un indispensable moyen d’expression, Scala!!! nous propose, en plus de nous faire découvrir un lieu bien à part, un retour sur une époque d’une créativité folle. En prenant de quoi noter lors de votre visionnage, vous repartirez avec de nombreuses notes, des films très connus des niches, d’autres plus difficile à retrouver, mais qui ont besoin de nous pour continuer d’exister. Il ne tient qu’à nous, par des vidéo-clubs, par des séances spéciales, de faire resurgir ces œuvres oubliées et leur offrir un second souffle, pour que l’héritage du Scala ne soit pas qu’un lointain souvenir !

Scala!!!, écrit et réalisé par Ali Catterall et Jane Giles… 1h36

Présenté en séance spéciale au festival du film britannique de Dinard 2023

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