Lorsque Ringo Lam tourne Full Alert en 1997, il sort tout juste de deux expériences hors de ses habitudes. Il y a tout d’abord Le Temple du Lotus Rouge en 1994, production Tsui Hark et Wu Xia Pian pour celui qui œuvre avant tout dans le cinéma urbain et contemporain. Ensuite, comme nombre de ses collègues hong-kongais, le cinéaste tente l’aventure à Hollywood pour tourner avec Jean-Claude Van Damme. Le résultat est Risque Maximum, production difficile pour un film largement coupé et remonté par ses producteurs, où il parvient toutefois à garder son identité et livrer quelque chose de plutôt sympathique.
Son retour à Hong Kong se fait avec Full Alert, identifié dans l’histoire comme LE polar hong-kongais de la rétrocession. D’abord parce qu’il sort la même année que cet évènement historique. Ensuite, parce que cette période pleine de doutes et d’incertitudes correspond parfaitement à l’état d’esprit et la vision du monde désenchantée de Ringo Lam, qu’il n’a cessé de dépeindre à l’écran dans sa carrière, notamment dans sa trilogie On Fire.
Un désenchantement visible dès les premières secondes du générique, où les noms apparaissent lors d’un arrêt sur images, au milieu d’une scène de perquisition de la police, filmée au ralenti dans une photographie entre le noir et le blanc. La couleur n’apparaît qu’à la découverte d’un cadavre, séquence macabre accompagnée d’une musique annonçant la dépression. La brigade criminelle, dirigée par l’inspecteur Pao, suspecte Mak Kwan qui avoue rapidement le meurtre. Mais l’inspecteur Pao est persuadé qu’un plus gros coup se cache derrière ce meurtre.
Ces premières secondes annoncent d’emblée la couleur de ce polar d’une noirceur totale, où les personnages se situent sans cesse dans une zone de gris, qu’ils soient du bon ou du mauvais côté de la loi. Ainsi, l’inspecteur Pao (brillamment interprété par Lau Ching-Wan) apparaît pour la première fois à l’écran dans l’ombre, tenant face caméra une lampe torche révélant son visage, tel le film s’apprêtant à montrer sa part sombre. De l’autre côté, Mak Kwan cache un personnage plus complexe que les apparences laissent penser. Les deux personnages fonctionnent en miroir de l’autre, comme le démontre la séquence du parloir, sorte de variation de Heat.
On retrouve en effet dans Full Alert plusieurs éléments du film de Michael Mann, de l’opposition entre le flic et le voleur, en passant par le dialogue annonciateur d’un dénouement tragique, jusqu’au face à face final entre les deux protagonistes. Sauf que Ringo Lam balaie ici tout le respect et le code d’honneur dont font preuve les personnages de Vincent Hanna et Neil McCauley. La mort d’un membre de chaque camp à la suite d’une poursuite révèle la face sombre des personnages, de la perte de contrôle de Pao jusqu’à la folie du chef du gang de voleurs. Chacun est jusqu’au-boutiste et ne recule devant rien pour parvenir à ses fins, qu’il s’agisse de tirer en plein milieu des passants dans la rue, ou de prendre en otage la famille de l’autre.
Au-delà de vider le modèle Heat de tout son romantisme, Ringo Lam casse la figure héroïque du flic hong-kongais incarné avec brio par Chow Yun-Fat ou Danny Lee. Pao est violent, instable, et perd facilement ses nerfs. C’est ici toute la filmographie du cinéaste qui ressort, lui qui a tracé sa propre voie dans le polar depuis ses débuts, loin du style opératique de John Woo, de l’hyper-stylisation de Johnnie To, ou du romantisme de Wong Kar-Wai. Chez Ringo Lam, les personnages sont des anti-héros, la violence est sèche et claque sévèrement, à l’image d’une ville de Hong Kong filmée comme aucun autre réalisateur ne l’a fait.

Le réalisateur filme en effet dans les recoins les plus sombres et glauques de la ville, embarquant son spectateur par une mise en scène immersive, donnant l’impression d’être littéralement à Hong Kong. Une mise en scène travaillée depuis City of Fire, donnant un cachet et une personnalité propre au cinéma de Ringo Lam. La séquence de poursuite en voiture est emblématique de ce style. Au-delà du spectaculaire de certaines cascades et de la complexité de la séquence (en partie sur l’autoroute, avec de nombreuses voitures), la scène est marquante par son immersion via les nombreux plans filmés à l’intérieur des voitures, laissant apercevoir que les acteurs conduisent réellement les voitures.
Une poursuite qui se conclut par la disparition de deux personnages, nous rappelant que la mort rode en permanence dans le cinéma de Ringo Lam. Full Alert est à ce titre un polar noir, violent et crépusculaire. Un film marquant la fin d’une époque, à l’image de son final à l’ambiance déprimante, dont le héros semble être le témoin. Il marque également un tournant dans la filmographie de son réalisateur, qui ne retrouvera pas par la suite l’intensité de ce Full Alert, malgré quelques belles réussites comme The Suspect, Victim, ou Replicant et In Hell avec Van Damme. Un film qui dont l’impact perdure aujourd’hui, et qui démontre l’importance de Ringo Lam dans l’âge d’or du cinéma de Hong Kong.
Full Alert, réalisé par Ringo Lam. Écrit par Lau Wing-Kin et Ringo Lam. Avec Lau Ching-Wan, Francis Ng, Amanda Lee… 1h38
Sorti le 18 juillet 1997