La Grande Magie est le septième film de Noémie Lvovsky en tant que cinéaste. Une aventure contenant toutes ses thématiques habituelles (comme l’émancipation féminine) mais qui se distingue par sa forme avec une comédie musicale signée Feu! Chatterton. Un résultat inégal mais qui se révèle assez efficace.
Martha (Judith Chemla) et Charles (Denis Podalydès) sont en vacances dans un hôtel au bord de la mer dans les années 1920. Une troupe de théâtre débarque pendant leur séjour pour proposer des tours de magie aux clients. Albert (Sergi Lopez) et Zaïra (Noémie Lvovsky) sont les meneur·ses de cette troupe qui espère divertir tout le monde… pour leur dérober leurs affaires durant le spectacle ! Martha se porte volontaire pour un tour de magie et, lassée par la jalousie de son mari, décide de s’enfuir pour de bon. Pour expliquer cette disparition, Albert remet à Charles une boite contenant sa femme mais il ne doit l’ouvrir que s’il a une totale confiance en elle, sinon elle disparaitra complètement…
À la frontière entre le rationnel et l’irrationnel, Noémie Lvovsky amène, devant nous, des personnages bouffons ou excessifs. Elle a poussé le curseur très loin pour chacun d’elleux comme pour sa mise en scène oscillant entre un classicisme assumé et un onirisme débordant, notamment durant les scènes musicales. Toute l’histoire tourne autour du mensonge fait par Albert à Charles pour justifier le départ de sa femme. Un récit qui nous rappelle la (fine) limite entre naïveté et remise en question, car Charles accepte cette histoire de boite sans imaginer un seul instant que sa femme puisse être partie de son plein gré.
Jusqu’à la toute fin, le personnage reste enfermé dans cette histoire de boîte, comme s’il était en lui-même prisonnier. Même lorsque sa femme s’y trouve, il ne pense qu’à lui parler et à garder le contrôle. À aucun moment, il ne pense à revenir sur ses actes ou paroles pourtant très dur·es lors de la première partie du récit. Par l’interaction avec les autres personnages, notamment Albert ou Zaïra, il devient aussi fou que l’idée même de croire sa femme entre ces quatre petites planches de bois.

Si on peut regretter le manque de rythme des scènes chantées, qui ralentissent plus qu’elles n’apportent au récit, la Grande Magie se distingue par son ancrage temporel n’empêchant pas l’universalité du propos sur le rapport entre les hommes et les femmes. Au-delà de la relation Charles-Martha, même parmi la troupe, des nomades censés être plus libres qu’importe leur sexe ou leurs aspirations, se trouve ce système hiérarchique avec Albert en meneur tout puissant et Zaïra réduite au rôle d’assistante ou à prendre le relève lorsque qu’Albert ne peut pas tenir son rôle.
Par rapport à ces thématiques habituelles, Noémie Lvovsky se frotte ici à la question de la réalité et du spectacle. Quand un spectacle se termine-t-il ? Est-ce que la réalité vécue durant un spectacle se rapproche de ma réalité ou est-elle juste le fruit d’un imaginaire collectif ou de l’illusion d’une réalité ? Charles, pourtant présenté comme un homme très suspicieux mais cartésien, se laisse convaincre que sa vie n’est que vaine et qu’un simple jeu. Tout semble lui être fictionnel et donc inconséquent dans chacun de ses actes, comme s’il ne pensait n’avoir jamais quitté la scène de spectacle où sa femme a disparu. Une scène que Noémie Lvovsky essaie de conserver, comme si nous assistions à un spectacle illusoire sans fin.
La Grande Magie de Noémie Lvovsky. Écrit par Florence Seyvos, Maud Ameline, Paolo Mattei et Noémie Lvovsky. D’après la pièce La Grande Magia d’Eduardo de Filippo. Avec Denis Podalydès, Noémie Lvovsky, Sergi Lopez… 1h50
Sortie en salle le 8 février 2023