Héritier d’une franchise très appréciée du grand public, Conjuring : sous l’emprise du diable se devait de faire honneur à ses prédécesseurs. En effet, si le Conjuring universe s’est répandu dans les salles obscures comme un traînée de poudre en (seulement) huit ans d’activité, tout ce qui en a résulté n’est pas forcément à la hauteur des espérances. Parmi tout cela, il y a eu du bon, du moins bon et du très mauvais à mesure que les suites de suites s’enchaînent. Seuls les deux films Conjuring ont réussi à sortir du lot et à même devenir des classiques du genre sous la direction avisée du prolifique James Wan. Le troisième opus était donc très attendu mais sans Wan au volant, la voiture a vite fini dans le ravin.
L’histoire est classique pour un Conjuring mais assez intéressante pour donner matière à développer autour. On suit Arne Johnson, un jeune homme à la vie d’apparence parfaite : il a un bon travail, est amoureux de sa petite amie avec qui il va bientôt se marier et est sur le point d’acheter une maison pour fonder une famille. La portrait idyllique se fend lorsqu’Arne tue brutalement son patron à l’arme blanche sans raison apparente. Ce qui rend l’affaire digne d’attirer l’attention d’Ed et Lorraine Warren a lieu lors du procès où, pour la première fois de l’histoire judiciaire américaine, l’accusé plaide la possession démoniaque. Tiré, bien sûr, d’une histoire vraie.
Si le film possède de nombreux problèmes, le plus notable se trouve dans son développement des nouveaux personnages qu’il introduit, quasi-inexistant. On choisit ici de se concentrer sur Ed et Lorraine Warren ce qui n’est pas une mauvaise chose sur le papier mais nuit à la continuité de l’histoire. Comment s’attacher à ces nouveaux personnages et s’inquiéter de leur sort lorsqu’ils deviennent secondaires dans leur propre récit ? S’il l’on prend les deux premiers Conjuring, le point fort des scénarios se trouvait toujours dans la balance créée entre le traitement des Warren et des familles qu’ils devaient aider. Même si Ed et Lorraine restaient centraux, tout le monde était traité au même niveau d’enrichissement, créant un vrai attachement chez l’audience. On dirait presque que les scénaristes n’ont pas compris leurs personnages et, de ce fait, les exploitent de la pire manière possible, créant un sentiment de frustration devant tout ce potentiel gâché. Mélangé à quatre ou cinq sous-intrigues aussi pompeuses qu’inutiles, cet opus se tire ainsi une balle dans le pied qui l’handicape pendant tout son déroulé. Le final se veut l’apothéose de tous ces problèmes, l’ensemble étant chorégraphié comme un mauvais copycat de Shining, sans parler de toutes ces références qui frisent le pompage intégral (on pense à la scène d’exorcisme au tout début du film, presque intégralement tirée de l’Exorciste). Ces nouveaux personnages ressemblent donc plus à des prétextes censés démarrer une enquête qui se perd tellement qu’elle ne les concerne que très peu au final.

Le copycat se ressent également sur la réalisation qui s’apparente au style de James Wan, sans pour autant en avoir la maîtrise. Michael Chaves est aux commandes et si on peut difficilement dire que son premier film The Curse of la Llorona (faisant également partie du Conjuring Universe) soit une franche réussite, il semble qu’il ait plus à apporter que cette pâle imitation. Il est dommage de sentir aussi peu son style et sa patte artistique.
Là où les deux premiers Conjuring possédaient des moments de jumpscare efficaces car difficilement prévisibles, cet opus-ci ne peut pas en dire autant. Sur deux heures de film, un ou deux moments peuvent être perçus comme vraiment effrayants. Tout le reste n’est que tentatives ratées amenées maladroitement et que l’on voit arriver à des kilomètres. Ce manque de frissons (tout de même nécessaire pour un film d’horreur, c’est le contrat de base) vient en grande partie du changement de ton opéré dans ce volet. On laisse tomber l’ambiance anxiogène, la photographie sombre et les créatures déformées de James Wan, et là encore, c’est un problème lorsque l’on sait pourquoi cet univers est si connu et apprécié : en raison de ces créatures comme la Nonne, Annabelle ou encore l’Homme tordu. Le tout s’apparente plus à un film policier avec quelques éléments horrifiques qu’à un Conjuring comme on les connaît, ce qui n’aurait pas été un véritable souci sans tous les manquements du scénario. Toujours le même problème…
Comme à leur habitude, Vera Farmiga et Patrick Wilson sont très bon·nes en couple Warren, leur alchimie se ressent de plus en plus au fil des volets et donne le cœur émotionnel du film. Les autres acteur·ices se débrouillent comme iels peuvent mais Ruairi O’Connor, interprète de Arne Johnson sort vraiment du lot, on regrette donc amèrement de le voir si peu car ses scènes sont pour la plupart les plus marquantes du film.

Conjuring : sous l’emprise du diable laisse donc un sentiment partagé. On peut difficilement conclure que le film est mauvais tant l’effort touchant de l’enfant essayant de ressembler à son parent se fait ressentir, mais les défauts et le manque de touche personnelle laissent peu de place aux éléments positifs qu’il peut y avoir. Nous avons donc là un bon quoique oubliable divertissement qui porte sur ses maigres épaules l’héritage de ses prédécesseurs, sans pour autant arriver à leur hauteur.
Conjuring : sous l’emprise du diable de Michael Chaves. Avec Vera Farmiga, Patrick Wilson, Ruairi O’Connor… 1h52
Sorti le 2 juin 2021