Alors que nous célébrons outre-atlantique l’une des rares fêtes qu’il nous réjouit de partager avec la contrée de l’Oncle Sam, on se fait une flopée de films sur le thème de la terreur, et les boogeymen sont de la partie. Parmi ceux auxquels on ne pense pas automatiquement, même si le métrage est sur toutes les lèvres dès lors que l’on cite le nom de son réalisateur, le Cavalier sans tête remplit pourtant nombre des caractéristiques que l’on recherche pour se flanquer une bonne frousse. Réagissant à l’instinct, classe comme pas deux, invincible et ne cessant ses sévices que lorsqu’il a accompli ses missions, il est un candidat de choix aux figures d’épouvante les plus emblématiques. Et parce qu’une notion telle qu’Halloween est rarement éloignée de l’univers de Tim Burton, l’envie est de revenir sur son Sleepy hollow.
Si elle n’est pas une œuvre qui convoque une volonté de nous retrancher dans nos terreurs les plus enfouies, et qu’elle joue d’un certain loufoque appuyant la stupidité de nombre de ses situations, Sleepy hollow parfait quelque chose de sale dans l’essence même de ses ambiances. Un terrain déjà expérimenté par le cinéaste, qu’il reproduit beaucoup par la suite, mais qui ici atteint un premier point d’ancrage. Par la photographie terne et grisâtre d’Emmanuel Lubezki, qui fait ressortir le poisseux et l’odeur nauséabonde de la Mort qui plane sur ses habitant·es, la bourgade états-unienne profonde ne donne en rien envie de s’y perdre. C’est d’ailleurs l’une des premières remarques que l’on fait à Ichabod Crane lorsqu’il débarque de New York pour enquêter sur la série de meurtres, lui que l’on voit tant comme une opportunité pour faire avancer le dévoilement quant au mystère qui se trame, que comme un pleutre qui fuira au bout de quelques jours, dès qu’il aura senti le danger qui rode dans l’ombre.
Après tout, qui l’en blâme ? Quand la malédiction qui pèse sur le village est un cavalier sans tête qui décapite quiconque se met en travers de sa route, on relativise rapidement. Surtout quand, même si la conscience qu’une machination plus terre-à-terre est à l’œuvre, on réalise que le cavalier est bel et bien réel, on n’a pas envie de faire le malin bien longtemps. Dommage tant malin, Crane l’est. Au-delà de ses atouts technologiques qui lui donnent un avantage considérable sur les locaux·ales – cependant loin d’être décrit·es comme de vulgaires pécores –, sa capacité de déduction et ses aspirations réalistes lui font vite réaliser que des jeux de pouvoir sont à l’œuvre, et que l’entité démoniaque n’est que l’objet d’une vaste supercherie. Affaires d’héritages et de vengeances, manipulations des puissant·es qui se retrouvent opprimé·es par les classes sociales qu’iels aiment dominer, la toile scénaristique tissée par Andrew Kevin Walker et Kevin Yagher dépeint les sombres desseins d’un monde où tout n’est que profit, peu éloigné des strates new-yorkaises dans lesquelles le jeune enquêteur évolue. Le village en proies à toutes les superstitions se heurte à l’érudit qui ramène son relativisme avec lui, tandis que ce dernier se doit de s’ouvrir à une possibilité plus fantastique, et aux affres de la sorcellerie.
Burton joue de cette dualité, les créatures revenues des Enfers servants des objets ancrés dans le réel. En se heurtant à la magie noire, Crane devient aussi superstitieux que ses comparses, accuse facilement celle qui avait pourtant grâce à ses yeux, et se détache de sa propre raison. L’équilibre est pourtant entre ces deux extrêmes, quand les deux penchants d’un même sort peuvent avoir des significations différentes. Tout est une question d’apprivoisement pour celui qui doit comprendre les diverses visions de la magie, mais aussi le monde qui l’entoure, pour pouvoir combattre le réel ennemi. Amusant d’ailleurs de voir une antagoniste désabusée, qui lutte pour venger ce qu’elle a perdu, et qui fait écho à la manière dont Crane, par une série de flashbacks montrant la manière dont sa mère a été mise à mort pour sa même utilisation de sorts nécromanciens. Burton démontre en cela que si le crime ne doit pas rester impuni, et que celle qui invoque le cavalier pour nourrir ses sombres desseins se doit d’avoir une fin d’arc de la même cruauté que celle qu’elle a créée, le véritable ennemi reste l’Homme, ses désirs de pouvoir et ses arrangements pour le conserver, par des pactes bien pires que ceux que l’on pourrait faire avec le Malin.

Sleepy Hollow marque particulièrement pour son imagerie gothique, qui sied parfaitement au réalisateur. On retrouve nombre de ses tourments, qu’il décline régulièrement, quel que soit le ton de ses films, mais qui ici prennent tout leur sens. Une alliance avec Johnny Depp – juste après l’excellent Ed Wood – qui porte une fois encore ses fruits, avant que les deux hommes ne s’usent mutuellement. On retient surtout Christina Ricci, qui comme Winona Ryder dans les films qu’elle partage avec l’ami Tim vole la vedette à chacune de ses apparitions. Le cynisme est maître, et cette enquête aux allures de whodunit fantastique est un régal de tous les instants, qui n’a pas pris la moindre ride.
Sleepy Hollow, la légende du Cavalier sans tête, de Tim Burton. Avec Johnny Depp, Christina Ricci, Michael Gambin… 1h45
Sorti le 9 février 2000