Le huis clos se caractérise par sa notion d’espace restreint qui, quel que soit son confort, devient une prison à mesure que les personnages évoluent dans leur stress et leurs appréhensions. Pour réussir à donner cette impression de huis-clos en plein air, il faut jouer sur l’immobilité, contraindre un personnage à rester au même endroit et, alors qu’autour de lui toutes les issues sont visibles, lui faire comprendre qu’elles sont inenvisageables. À ce titre, la cabine téléphonique – pour l’époque, du moins – devient une évidence, et un moyen de réduire un espace personnel tout en offrant la frustration du monde ouvert autour de soi. Difficile d’imaginer que Joel Schumacher puisse réussir le coup de génie de mettre en scène une telle éventualité, et pourtant, Phone Game s’avère être le thriller efficace qu’on n’attendait pas.
Stuart Shepard (Colin Farrell) déambule dans les rues de New York à longueur de journées, où il fait constamment des deals téléphoniques. En cinq minutes et un montage ultra nerveux, on nous décrit l’archétype de l’enflure ultime. Arrogant à souhait, Stuart vit de ses deals, de ses arrangements qu’il passe en achetant la confiance des gens via combines et mensonges éhontés. Stuart manipule tout le monde autour de lui, que ce soit son assistant à qui il promet la lune et la même gloire, sa femme pour qui il apparaît comme le mari modèle, mais aussi de jeunes actrices à qui il promet des castings pour coucher avec. Ce personnage, que l’on déteste quasi-instantanément et pour lequel il est difficile de ressentir de l’empathie, on va apprendre à l’aimer, le soutenir dans une épreuve d’une ampleur surprenante.
Une sonnerie de téléphone, dans la cabine d’où Stuart vient de mener une de ses exactions. Répondre est la pire idée de sa vie, celle qui le condamne et nous avec. À partir du moment où le combiné est décroché, nous sommes bloqués avec lui, et une simple voix va suffire à générer le stress, et notre empathie. Le choix de Kiefer Sutherland est alors parfait pour incarner cet antagoniste froid et calculateur, le comédien parvenant à moduler son ton avec une aisance délectable. D’abord conservant son caractère arrogant et provocateur, Stuart va rapidement devenir le jouet du tireur embusqué, et Schumacher va jouer non seulement avec les dialogues mais aussi avec le son pour fortifier son ambiance. Il va alors faire varier les discussions cacophoniques, qu’elles concernent le maître-chanteur de Stuart ou ses discussions avec l’extérieur (les gens voulant également utiliser la cabine et s’impatientant), et les faire monter en pression pour les stopper net par des coups d’éclat sonores distinctifs, qui glacent à chaque fois le sang. « If you hang up, I’ll kill you », suivi peu après du bruit de l’arme qui s’amorce, tous les éléments sont là pour enfoncer le protagoniste dans sa névrose, lui faire réaliser la gravité de la situation et les issues qui se restreignent.

La mise en scène cavalière de Schumacher, qui n’hésite pas à multiplier les dialogues balbutiants, semblant mal écrits pour justement nous mettre dans ce sentiment d’impuissance, et les situations vulgaires et provocatrices pour multiplier les risques extérieurs, tout concorde pour faire de ce Phone Game un shoot d’adrénaline qu’on prend en pleine poire et qui ne relâche jamais sa tension. Le rythme incessant rajoute à l’oppression générale et permet de ne pas s’attarder sur les détails. Car en y regardant de plus près, beaucoup de personnages secondaires, notamment la binarité du corps policier – on pense au négociateur qui n’a pour seul trait de caractère que celui de vouloir la tête de Stuart, sans raison réelle ni première tentative de discussion –, sont laissés de côté. Mais pire encore, c’est au niveau des motivations de l’antagoniste que la zone de flou s’accentue. Lui qui s’évertue à vanter ses précédents meurtres, à savoir un pédophile et un trader ayant profité de la déchéance de petites entreprises, peut-il vraiment mettre sur le même plan un arnaqueur à la sauvette qui, s’il représente clairement un danger, est moins toxique que les combats menés précédemment ? Problème quand des leçons sur-moralisatrices doublées d’une repentance qui se mêle au misérabilisme – dans un final qui, si on comprend la complexité d’achever une telle histoire, est complètement anecdotique – viennent entacher un récit pourtant compréhensible. A côté, la critique concernant l’individualisme technologique, avec l’arrivée en masse des téléphones portables qui nous enferment dans un cercle clos, reste pour sa part à peine effleurée. On sent bien qu’il y a une volonté de décrier le sentiment de toute puissance que l’on obtient par la communication à distance, qui peut d’ailleurs s’apparenter à l’accentuation des réseaux internets, mais le manque de profondeur à ce niveau-là au profit de l’expérience d’un instant bâcle un sujet pourtant intéressant.
Heureusement alors que l’expérience proposée est forte. Ce qui nous importe se passe dans la cabine, et les éléments extérieurs concordent narrativement au niveau des interactions avec la situation principale, ce qui maintient le film dans un carcan solide, comme souvent avec les huis clos. 1h20, durée idéale pour tenter une plongée en apnée, et clairement, le cinéaste ne laisse aucun moment pour reprendre son souffle.
Phone Game, de Joel Schumacher. Avec Colin Farell, Katie Holmes, Keifer Sutherland… 1h21.
Sorti le 27 août 2003
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