Acteur, Réalisateur, Producteur, Scénariste, Narrateur… Il n’y a pas, ou peu, de casquette de cinéma que Jacques Perrin n’a pas porté. À l’occasion de la 41ème édition du FIFAM en fin d’année dernière, le réalisateur français de 80 ans s’est entretenu avec nous dans un échange riche au sein duquel celui-ci évoque la situation écologique actuelle, le pouvoir de changer les choses du cinéma et son rôle de porte parole d’une génération de cinéma disparue.
Votre filmographie montre un véritable attachement de votre part au sujet de l’environnement. Vous êtes inquiet de l’état actuel de notre planète ?
Oui bien sûr…bien sûr car aujourd’hui il n’y a pas d’entente, il n’y a pas de résultat concret. Il y a cette petite qui le dit… Greta (Thunberg) « Bavardages, bavardages, bavardages… » et c’est un peu ça. Qu’est-ce que l’on peut y faire ? Je pense que le cinéma peut avoir un véritable pouvoir. Cependant, soit il n’y a que des films qui relatent le désastre, soit il n’y a que des films qui relatent le bonheur. Ce que l’on a fait dans Océans (2009), c’est montrer un commerce qui continue malgré la destruction de l’environnement, des océans, et des espèces. Dans Océans, cette partie ne dure que huit minutes sur les deux heures de film, mais c’est important. Ce qu’il faut, c’est choquer. Donc on endort le spectateur avec de belles images, tout en le laissant conscient, et puis là, on montre ce que c’est véritablement la pêche, la chasse à la baleine ou le meurtre de requins, afin de créer un choc.
C’est donc en parlant à nos émotions que le cinéma peut parvenir à changer quelque chose ?
Oui, tout à fait, car le cinéma réveille en nous quelque chose qui n’accepte pas le désastre. Il faut le rappeler, un film n’existe que parce qu’il y a un échange entre le sujet projeté et le spectateur qui, d’une certaine manière, participe à cette écriture. Donc il fallait prendre le spectateur par la main pour l’emmener voir la beauté indicible des océans et à un certain moment, le confronter à ce massacre. Ce massacre il existe même sur nos propres côtes françaises où il y a des requins, des dauphins sont tués par inadvertance ! Enfin inadvertance… Il faut comprendre que le meurtre de ces espèces crée de véritables dommages collatéraux ! Pourtant en France on sait ce que c’est la défense de l’environnement ! On en parle beaucoup, la COP 21 a pris place à Paris, mais on laisse quand même faire ! De la même manière que l’on ne fait rien pour nos rivières et nos fleuves qui transportent tous les détritus de notre société, de nos industries ! On laisse faire !
Dans vos films, vous montrez tout de même une certaine beauté de notre monde actuel, de nos mers…
Je ne sais pas vraiment… Je n’ai pas tourné sur la nature depuis un moment. Avec mon complice Jacques Cluzaud, qui est un peu souffrant, on cherche un nouveau moyen de s’y prendre, de questionner le sujet. Je pense que l’on va passer le flambeau, mais il faut que ce soit à une écriture complètement nouvelle.
Et justement, faire que les spectateurs se questionnent sur les questions écologiques, c’est cela qui vous a donné envie de passer derrière la caméra ?
Oh oui je crois ! J’ai assisté de mes propres yeux aux désastres de la pêche en Méditerranée. Je suis allé chez un ami dernièrement, il a 100 ans et il a vu les dernières actions de pêche au lamparo. À l’époque, les pécheurs prenaient dans leurs filets deux ou trois tonnes de maquereaux, sardines ou anchois. Tout le monde est, d’une certaine manière, responsable de ce à quoi on assiste aujourd’hui. En faisant des films, il faut donc avoir un argument politique, universel, et pas simplement montrer de beaux paysages ou à l’inverse une surenchère de propos véhéments. Et donc trouver cet entre-deux a été l’une des raisons de mon passage à la réalisation.
Cette année, le Festival International du Film d’Amiens vous rend hommage en montrant vos différentes casquettes du cinéma, entre acteur, réalisateur, producteur… Il y a notamment Z (Costa-Gavras, 1969) qui a été projeté…
La réaction était bien ?
Oui il y a beaucoup de jeunes qui l’ont découvert pour la première fois. De tous ces différents métiers de cinéma que vous avez exercé, il y en a un qui vous tient particulièrement à cœur ?
Pour moi j’ai l’impression qu’au final il n’y en a eu qu’un seul. Je veux juste vivre et vivre c’est s’intéresser, c’est participer au combat, c’est différencier les formes d’existences… Le cinéma ça ne va pas fondamentalement changer le caractère des gens mais ça les rend tout de même sensibles. Et bien souvent, je trouve l’argument par cette sensibilité. Dieu sait s’il y a des gens qui ont parlé de l’environnement, des fautes de la société… Mais c’est différent, le verbe, le fait de parler, c’est terrible parce qu’il y a un mot qui en remplace un autre et on ne sait plus très bien ce que l’on s’est dit. De temps en temps il y a des orateurs formidables, mais l’image, quant à elle, reste. Une image, découpée, c’est comme une photo dans l’esprit et ça, ça a une force, un véritable impact. Je me pose toujours la question de savoir si les films que j’ai fait servent à quelque chose…
Si vous deviez citer celui qui, pour vous, à le plus servi à quelque chose vous diriez lequel ?
C’est peut-être Océans. Enfin je sais pas… Il y a des instances qui l’ont considéré comme un beau film. Mais ce n’est pas un beau film ! C’est un film où le spectateur doit se sentir mal à l’aise ! Il faut que les gens se lèvent et disent « Non ! ». Dans quelques projections c’est arrivé… Par exemple dans toutes les projections de Z, qui est le premier film que j’ai produit, le public était debout et applaudissait ! À la fois j’aime bien être engagé à travers mes films et ne pas être professionnel de l’engagement. C’est important de s’éloigner pour revenir et frapper encore plus fort !
Produire un film c’est une prise de risque constante, d’autant que vous n’avez pas produit les films les plus évidents.
Oui c’est une prise de risque, mais heureusement que l’intérêt que l’on porte au propos est quand même plus enthousiasmant que les difficultés et les dettes auxquelles on se confronte. Dans la production, lorsque l’on prend un risque, il faut payer. Et on peut payer très cher. Quand je réalise des films, je suis responsable d’une équipe de caméramans, d’ingénieurs du son… mais lorsque l’on produit on se retrouve bien souvent seul. En se retrouvant tout seul, c’est bien plus difficile de se relever le lendemain. Il faut un temps pour reprendre souffle, mais surtout pour reprendre finances.
Aujourd’hui qu’est ce que ça représente pour vous de revoir vos films au sein d’un festival de cinéma ?
Ça me fait vraiment du bien parce que je retrouve les gens avec qui j’ai travaillé. Après 60 ans de métier c’est un grand bonheur de me retrouver à diffuser le film comme s’il avait été fait hier. Et attention au cœur, parce qu’avec le temps je me retrouve un peu tout seul, notamment sur des films comme La 317e section (Schoendoerffer, 1965). Même sur des films comme Z ça commence… Il y a donc quand même une part de regret, de tristesse, peut-être de nostalgie… Non pas de nostalgie, j’ai autant de bonheur à les retrouver sur l’écran. Et puis d’une certaine façon, quand vous êtes 50 ou 60 ans après la sortie du film, vous êtes un peu le porte-parole de ceux qui ont disparu.
Et de vous voir jeune sur l’écran…
Ça ne me fait rien (rires). Avec mon fils, on avait été invité par à revoir Peau d’Âne (Demy, 1970), on m’y voit jeune, en prince dans mon costume rouge. Je lui dit « Tu reconnais pas le monsieur ? C’est moi ! » et il me répond « Mais t’étais complètement jeune ! ». Ça donne un certain bonheur…mais pas de nostalgie.
Merci à Jacques Perrin pour ses réponses. Interview réalisée conjointement avec Le courrier Picard.