Si le Festival International du Film Francophone de Namur a été perturbé comme tant d’événements par les circonstances sanitaires actuelles, cela ne nous a pas empêché de faire de jolies découvertes cinématographiques comme La Nuit Des Rois. Alors que le film est diffusé durant le Festival de Rotterdam et qu’il a été sélectionné pour représenter la Côte d’Ivoire aux Oscars, nous vous proposons cet entretien avec son réalisateur, Philippe Lacôte.
Pour commencer, quelle est l’origine du projet ?
C’est un ami qui sortait de la Maca qui m’a raconté que dans cette prison, ils choisissent un prisonnier qu’ils appelent « Roman » et qui doit leur raconter une histoire toutes les nuits. C’est parti d’une histoire vraie. Je l’ai dramatisée un peu avec la notion de mort à la fin de la nuit. Je l’ai concentrée sur une seule nuit mais c’est parti d’une pratique réelle qui existe à la Maca.
Justement, qu’est-ce qui est plus réel ou plus romancé ? On sent qu’il y a toute une mythologie qui se développe, on est face à un système de règles qui rappelle le conte ou même quelque chose de plus médiéval…
Tout ce qui existe dans le scénario, c’est de la fiction : la lune rouge, le fait que le chef doive mourir s’il est malade, … Ce sont des choses que j’ai fabriquées, c’est de la fiction. Je suis parti de la pratique réelle de Roman pour installer ce personnage.
Comment avez-vous travaillé avec le casting ? Chaque acteur dégage un charisme, quelque chose que je trouve très flamboyant qui ressort de l’écran.
Le casting a été fait de différentes composantes. Il y a des acteurs professionnels, dont le seul européen, Denis Lavant. C’est quelqu’un avec qui j’ai fait tous mes premiers courts-métrages en France donc j’avais envie qu’il vienne me rejoindre dans l’aventure ivoirienne. Je pense que ce rôle était le bon pour lui. Après, il y a des acteurs professionnels d’Afrique, du Burkina comme Rasmana Ouédraogo et Issaka Sawadogo, de Côte d’Ivoire, … Et il y a tout un travail avec de jeunes acteurs qui commencent, qui n’ont jamais joué, qu’on a casté dans les quartiers d’Abidjan. On a travaillé deux ans avec mon directeur de casting, Yoann Richemont, à sélectionner des jeunes dans les différents quartiers populaires, des danseurs, des chanteurs, des acrobates, des premiers acteurs, … Et on a réuni quarante personnes qu’on a amenées en atelier pendant trois mois. Après, on a eu tout un travail avec les figurants pour en retenir cent-cinquante, dont 25% étaient des détenus pour apporter cette véracité.

Par rapport à cette véracité dans la prison, les scènes ont vraiment été tournées à la Maca ?
Il n’y a aucune scène tournée à la Maca. C’est l’extérieur de la prison qui a été filmé à la Maca. Quand on fait le tour en voiture, c’est la Maca. Après le titre du film, tout est refabriqué.
Il y a une telle vie qui se dégage de la prison…
Oui, c’était ça le pari, de faire une prison très très très très vivante et pour moi, venant aussi du documentaire, c’est ça mon travail, c’est un travail de réel. Quand on travaille sur les prisons, celles africaines ont beaucoup d’énergie, beaucoup d’impact visuel. Et donc l’idée, c’était de ne pas faire quelque chose de figé, d’arriver à trouver du mouvement dans l’action, qui fait qu’on ne peut pas dire qu’on n’est pas dans une vraie prison.
Je confirme en tout cas !
Même le directeur de l’administration pénitentiaire, il a vu des images et il a cru que c’était à la Maca.
J’ai découvert le film au FIFF, à Namur, j’ai vu qu’il était passé par plusieurs festivals… Quelle importance donnez-vous aux festivals dans la diffusion de films comme le vôtre, surtout en période de Covid qui ralentit la diffusion de certains titres ?
Je suis un réalisateur qui a beaucoup été porté par les festivals. Mon premier film a été au Festival de Cannes en 2014 à Un Certain Regard. Là, La Nuit Des Rois a été en avant-première à la Mostra, il a gagné un prix à Toronto donc je suis un réalisateur qui est sensible aux festivals. Ce sont des fenêtres particulières pour montrer certains films comme ceux qui ne trouvent pas leur place dans le commerce et qui arrivent à y trouver un vrai écho. Aujourd’hui, on ne peut être que solidaires des combats que mènent les festivals parce que c’est important de dire, de redire que le cinéma est une expérience physique, que c’est une expérience que l’on se partage et pas juste une expérience digitale, un lien qu’on reçoit. On pourrait l’oublier avec tout ce qui se passe. C’est important qu’il y ait des festivals comme Namur, qui a eu lieu en physique, qu’il y ait Venise de manière physique, Toronto, pas mal de festivals qui se battent pour mettre les choses en place. En tant que réalisateur·ice·s, c’est notre rôle de les soutenir.

J’ai lu sur Internet que le film va représenter la Côte d’Ivoire aux Oscars.
Oui, c’est vrai !
Ok, super, félicitations déjà ! J’avais peur de dire ça et que ce soit une bêtise…
Non, c’est vrai !
Alors qu’est-ce que cette annonce vous fait ressentir ?
Moi, je suis un patriote. C’est-à-dire qu’à chaque fois que je porte les couleurs de mon pays à un endroit, c’est un grand sentiment de fierté. Ce n’est pas le pays qui nous doit quelque chose, c’est nous qui devons quelque chose au pays. Donc aujourd’hui, être cinéaste en Côte d’Ivoire, être cinéaste sur le continent africain, c’est un grand luxe car il y a beaucoup de jeunes, beaucoup de gens qui aimeraient réaliser leurs rêves mais qui n’y arrivent pas. On est des porte-paroles car il n’y a pas beaucoup de gens qui s’expriment en cinéma donc on a cette responsabilité et il faut la porter jusqu’au bout. Pour moi, c’est un sentiment de fierté de contribuer à faire exister la Côte d’Ivoire sur la carte internationale du cinéma, de faire parler de nous, d’aller aux Oscars, … On a la chance d’avoir un très bon distributeur américain, Néon, parce que le film pourra sortir aux États-Unis.
Ma dernière question est un peu basique mais quels sont vos futurs projets ?
C’est difficile de le dire en ce moment. J’ai des envies plutôt. Une envie serait de faire un film d’arts martiaux qui raconte les indépendances africaines. Puisque vous êtes belge, imaginez Léopoldville dans un film d’arts martiaux, avec la CIA, les services secrets belges, les services secrets français, avec tout ce monde-là. Ça, c’est une envie. Mais aujourd’hui, il y a plusieurs propositions, notamment de séries. Je n’ai donc pas un projet sur lequel je suis arrêté là parce que je viens juste de terminer La Nuit des Rois et je suis un réalisateur qui prend le temps avant de choisir ses projets.
La nuit des rois de Philippe Lacôte. Avec Koné Bakary, Steve Tientcheu, Issaka Sawadogo,… 1h33. En attente de date pour la sortie en salles.
[…] La Nuit des Rois : Interview avec le réalisateur Philippe Lacôte […]