Awkwafina gagne le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie pour son rôle de Billi Wang dans L’Adieu. Occasion rêvée pour la partie française d’A 24, qui distribue le film de Lulu Wang dans l’hexagone quelques jours à peine après la cérémonie, pouvant attirer en salles les curieux·ses. Double ambition pour celui qui, en plus d’obtenir une nomination pour un prix prestigieux, est l’un des premiers films américains tourné en langue étrangère à avoir les faveurs d’une académie considérée.
Issue d’une famille chinoise immigrée aux États-Unis, Billie n’est pas dans la meilleure des passes. Elle qui doit à tout prix réussir pour la fierté de ses parents qui ont tout sacrifié pour lui offrir un meilleur avenir se voit refuser une bourse pouvant lui permettre les études convoitées. Pire, elle ne se sent pas tant chez elle dans cette Amérique loin de ses traditions et de la culture dans laquelle on l’a élevée. Elle entretient une relation forte, téléphonique, avec sa grand-mère, toujours au pays, qui lui permet de garder une forte impression de « double culture ». Lorsqu’elle apprend que cette dernière est atteinte d’un cancer en phase terminale, c’est tout un pan de son monde qui s’effondre. La famille décide rapidement d’aller la voir, sous couvert d’un mariage, auquel Billie n’est pas conviée, elle qui ne pourrait que difficilement cacher ses émotions, la mettant face à une réalité culturelle qu’elle ne connaissait pas : en Chine, lorsqu’un proche va mourir, on ne lui dit pas.
Évidemment, Billie se rend contre l’intention familiale au dit mariage, et se retrouve malgré elle dans cet engrenage de faux semblants « pour le bien commun », dans la préservation de la grand-mère par le mensonge. On découvre un panel de personnages tous issus de cette même culture, avec divers degrés d’éloignements : le cousin, et futur marié, qui lui est expatrié au Japon, les oncles et tantes, parents, celleux allé·es avec Billie aux États-Unis comme celleux resté·es dans le cocon familial, tou·tes uni·es dans cette tristesse qu’iels masquent tant bien que mal, et que Billie, dans son comportement, fait exploser. Les discours lors du mariage, où l’oncle finit par fondre en larmes et feindre la joie pour ne pas dévoiler la triste révélation, cette famille obligée de jouer le bonheur hystérique en chantant, dansant, partageant l’amour des deux nouveaux conjoints alors qu’ils veulent tous faire preuve de leur détresse, sont d’autant de moments poignants qu’ils sont d’une terrible justesse.

L’Adieu est qualifié comme une comédie, pourtant c’est un sentiment de mélancolie nostalgique qui se dégage tout au long du métrage. Si l’aspect choc des cultures en fait un film qui peut s’apparenter à la « comédie communautaire » (dans le genre, on pense à Made In China, sorti l’année dernière, qui non sans défaut parvenait à se défaire des clichés pour nous parler de notre rapport aux autres éducations), le métrage est très sérieux. Il garde un côté léger, notamment dans la gestion des interactions entre les membres de la famille, qui doivent tou·tes paraître heureux·ses, mais l’ironie domine, et avec elle le poids des secrets, le malaise constant. L’écriture, très fine, joue énormément dans l’empathie que l’on va ressentir : chaque personnage existe, se reconnaît à chaque apparition. Quant aux questions d’éthique, peu importe notre point de vue sur les agissements de la famille, on comprend les raisons de chacun·e, quelles qu’elles soient ; cette famille qui ne voit pas l’intérêt d’annoncer à la grand-mère son très proche trépas, n’y voyant qu’un poids ajouté qui n’a pas lieu d’être, mais on comprend aussi Billie, son refus de vivre dans le secret, l’importance que la révélation pourrait apporter à sa parente quant aux actes non accomplis. La famille est le personnage à part entière. On comprend l’intérêt d’offrir un prix à Awkwafina – qui ne démérite pas et nous offre une prestation intègre – bien qu’on l’aurait volontiers donné à Zhao Shuzhen (Nai Nai, la grand-mère), qui illumine l’écran à chacun de ses instants.
Plus que de traiter des non-dits au sein d’une famille, L’Adieu est avant tout un film sur le deuil, et sur la façon de le concevoir, de le vivre. Certain·es choisissent d’intensifier les derniers moments, les savourer jusqu’au bout, d’autres s’abandonnent dans le recueil. Il n’y a pas de mauvaise manière, que des points qui s’accordent, et c’est là le message que Lulu Wang fait passer avec brio. Si brillamment qu’il est malgré tout difficile de ne pas ressentir un certain ennui quand le message commence à se répéter. Les ressorts sont efficaces et rapidement mis en place, ce qui rend la fin de leur exécution futile quand tout est dit. Pour autant, telle une marque de spleen, l’étirement de la trame témoigne aussi de ce temps qui passe, de ces gens dans l’attente d’une fatalité qui finalement n’arrive pas. Un carton nous indique en fin de film (ce n’est pas tant un divulgachage vu que là n’est pas le sujet) qu’alors qu’il lui restait qu’un mois estimé par les médecins, Nai Nai est toujours en vie, et en forme, six années plus tard. Une belle revanche pour celle qui, ne connaissant pas sa condition de santé, a tout simplement continué à vivre, et une leçon pour Billie, qui ne doit pas considérer la non-obtention de sa bourse comme un échec, mais le départ vers autre chose.

Il aura fallu le mélange de deux cultures aux intérêts contradictoires, le bien commun face au sur-individualisme, pour trouver un juste milieu dont la philosophie prouve que dans chaque point de vue, une semi-vérité se loge. Sorti des sentiers battus par le communautarisme qui se laissait présager en premier lieu, L’Adieu est avant tout une œuvre sur la complexité des gens, de ces peuples aux différentes cultures qui doivent se confronter et apprendre les un·es des autres pour réellement avancer.
L’Adieu, de Lulu Wang. Avec Awkwafina, Zhao Shuzhen, Tzi Ma…1h38
Sorti le 8 janvier 2020