“Et ceux qui dansaient furent considérés fous par ceux qui ne pouvaient entendre la musique”, disait Nietzsche, une phrase plus qu’adéquate pour résumer le synopsis du Bal des Folles, nouveau long-métrage de Mélanie Laurent. Sorti ce vendredi 17 septembre en exclusivité sur Prime Vidéo, le film est une adaptation du livre du même nom écrit par Victoria Mas. On nous offre une plongée dans le Paris du XIXe siècle et plus précisément dans l’hôpital psychiatrique de la Pitié-Salpêtrière, tristement connu pour les traitements proches de la torture qui y étaient infligés aux malheureuses qui s’y voyaient internées de force. L’histoire suit Eugénie Cléry, une jeune femme de 26 ans qui possède le don de communiquer avec les morts et qui se retrouve enfermée de force à la Pitié-Salpêtrière par sa famille qui la juge folle. Une intrigue qui donne envie mais force est de constater que les réjouissances de ce bal tournent vite au vinaigre.
Première chose que l’on constate devant le film : les choses se mettent bien en place. On prend le temps de nous présenter Eugénie et de nous expliquer son don ainsi que le rapport de ses proches à ce dernier. Le côté fantastique est assumé dès le début, et ce tout au long du métrage. Il y a un vrai marquage entre la maison d’Eugénie, chaleureuse et vivante, et la Salpêtrière, représentée par un blanc médical tâché de poussière et flétri par le temps, comme le lieu lui-même. Le rythme est soutenu tout au long de la première partie où l’on découvre en même temps que le personnage principal les sombres rouages de la Salpêtrière ainsi que les pratiques inhumaines qui y font légion. Aux méthodes peu orthodoxes et à la sévérité des soignants s’opposent les liens et l’humanité des patientes. Pas de femmes folles se bavant dessus, on nous présente des êtres humains maltraités par la vie et mentalement brisés mais qui arrivent encore à se soutenir et à s’émerveiller devant la beauté des habits qui leur sont refusés. Les costumes participent également au marquage de la différence entre patient·e·s et soignants, ces derniers étant constamment habillés de couleurs sombres et de lourds tissus sans aucun centimètres de leur peau visible. Les femmes internées sont au contraire souvent représentées nues ou peu vêtues, sans jamais que cela ne soit sexualisé ou provocant. La nudité sert à illustrer le traitement que subissent les patientes plus qu’elle n’est érotisée. La caméra se révèle assez bienveillante et prend le parti de normaliser cette nudité car après tout, nous sommes dans un hôpital où les femmes sont constamment confrontées à la réalité du corps de chacune.
La réalisation est très visuelle même si inégale à certains moments notamment à la fin du film, une fin qui fait significativement baisser la qualité de l’ensemble de l’œuvre. Mélanie Laurent offre des plans larges sur Eugénie dans sa maison, le tout sublimé par une excellente photographie qui se joue des ombres et de la lumière. Malheureusement, cet effort de photographie et d’image semble s’étioler au fur et à mesure du film.

Les personnages de Mélanie Laurent et Lou de Laâge (toutes deux excellentes) prennent énormément de place dans le récit, ce qui laisse peu de place au développement des rôles secondaires. Les acteur·ice·s se débrouillent donc avec ce qui leur reste (mention spéciale à la moustache de Benjamin Voisin), ce qui crée un tout assez incohérent et indigeste. On peut prendre l’exemple du personnage de Théophile qui n’est pas du tout développé, ce qui crée un manque d’attachement chez le/la spectateur·ice et nuit à l’histoire. De plus, les rôles secondaires sont extrêmement stéréotypés ce qui rend l’histoire somme toute assez plate et prévisible.
Les vrais problèmes commencent à se dessiner pendant la deuxième partie. Le rythme perd de son intensité et on se retrouve avec un récit qui semble avoir été rallongé pour durer deux heures. Le film s’enlise dans sa narration jusqu’à ce que le/la spectateur·ice perde son intérêt pour le sort des personnages. Cela continue ainsi jusqu’à la délivrance de la fin qui se révèle décevante tant elle est prévisible et classique. Un autre point négatif dans la conclusion vient totalement gâcher le message que le film avait tant bien que mal réussi à faire passer. Spoil mineur en approche, le problème en question se cristallise sous la forme d’une scène de viol aussi graphique que gratuite. Elle n’apporte rien à l’évolution des personnages concernés ou à la trame narrative du récit en plus d’être extrêmement violente et dure à regarder. Tout cela associé à la représentation légère des réels traumatismes subis par les femmes internées à la Pitié-Salpêtrière crée un sentiment d’incompréhension : pourquoi, au lieu de représenter les mauvais traitements de cet endroit, se focaliser sur une scène de viol qui arrive en dernière minute (c’est la dernière fois que nous verrons le personnage concerné) et n’apporte rien à la narration ? Alerte à tous les cinéastes : il est possible de montrer un personnage féminin souffrir sans passer par le viol, surtout dans un endroit comme la Salpêtrière. À bon entendeur…

Le Bal des Folles laisse donc un arrière-goût amer, caractéristique de la déception. Malgré une première partie assez bonne et une mise en place efficace, le récit se perd dès le début de la deuxième partie et semble ne pas savoir quoi faire de ses personnages. Cela conduit irrémédiablement à une fin plate et sans saveur et à une œuvre incohérente dans son ensemble. Le tout est péniblement sauvé par ses actrices principales et par une réalisation et une photographie plaisantes mais inégales. Le message que le récit veut faire passer se perd dans un tourbillon de violence inutile et de scènes tirées en longueur, ce qui est assez dommage vu le potentiel du projet. Comme quoi, il faut parfois s’en tenir aux pages d’un livre…
Le Bal des Folles de Mélanie Laurent. Avec Lou de Laâge, Mélanie Laurent, Benjamin Voisin… 2h01
Sorti le 17 septembre 2021 en SVOD