On ne l’arrête plus le Xavier Dolan. Après avoir ému Cannes avec son touchant Mommy, le Québécois récidive deux ans après avec Juste la fin du monde et repart cette fois avec le Grand Prix en plus d’avoir raflé aux Césars quelques mois plus tard la meilleure réalisation, le meilleur montage et le meilleur acteur (pour Gaspard Ulliel). Mais alors, qu’est-ce que ce film peut bien avoir de plus que Mommy ? Pas mal de choses.
Louis n’est pas revenu dans sa famille depuis douze ans. Il décide de leur rendre visite en amenant avec lui une funeste nouvelle : il va bientôt mourir. Au cours d’une belle journée ensoleillée il retrouve sa sœur, sa mère ainsi que son frère et la femme de ce dernier. Des retrouvailles placées sous le signe du bonheur mais aussi de la tension, celle accumulée pendant douze ans de silence.
Jean-Luc Lagarce a écrit cette pièce en 1990 alors qu’il se savait atteint du sida. Cette pièce traîne depuis très longtemps dans les tiroirs de Dolan puisque c’est Anne Dorval qui lui a donné ce texte au moment du tournage de J’ai tué ma mère. Il l’a rapidement mis de côté, ne se sentant pas forcément en adéquation avec les personnages. Ce n’est qu’après le tournage de Mommy qu’il s’est replongé dedans et a voulu l’adapter sur grand écran.

Il est marrant de voir à quel point Juste la fin du monde réunit toutes les névroses du cinéaste : absence de père, famille conflictuelle qui, derrière ses hurlements, s’aime plus que tout. Le film se dénote du reste de sa filmographie de par sa structure. C’est une pièce de théâtre adaptée comme telle. Chaque unité de lieu correspond à une unité de temps et à un échange entre Louis et un·e autre membre de sa famille tout en respectant scrupuleusement le texte de Lagarce – un souhait de Dolan car il estimait que l’écrivain avait le sens des mots justes – ce qui fonctionne très bien. D’autant plus qu’on se retrouve avec cinq orateur·ice·s de qualité qui donnent corps à un sublime texte dans lequel se joue des enjeux énormes, entre Louis qui hésite à annoncer sa mort, son frère qui lui en veut d’être parti, sa soeur qu’il n’a pas vu grandir, sa mère qui l’aime profondément et sa belle-soeur qui apparaît comme la seule confidente de confiance dans la maison.
Cette journée si ensoleillée se transforme rapidement en prison. Un lieu clos où Louis est statique, où les souvenirs l’assaillent et lui brûlent la peau au point d’en suer constamment. Plus la température monte dans la pièce et plus elle monte en chacun·e des protagonistes qui renferment une colère sourde. Une colère qu’iels essaient tant bien que mal de cacher car il faut bien célébrer la venue de Louis mais c’est peine perdue. Le déjeuner familial se transforme en règlement de compte. Les personnages se hurlent dessus à s’en briser les cordes vocales. Les larmes se mêlent aux gouttes de sueur et Louis est toujours là, statique, spectateur de sa propre famille qui tombe en lambeaux. C’est sa venue qui a provoqué ce carnage, le coucou a sonné, il est l’heure de repartir, ça vaudra mieux pour tout le monde.
On ne va pas s’étendre sur les caractéristiques toujours aussi habituelles dans le cinéma de Dolan entre sa mise en scène toujours carrée, sa manie de filmer les visages et ses émotions de près et son adoration pour la musique pop des années 2000 (oui, il fallait oser mettre Dragosta Din Tei). Additionné au très beau texte de Jean-Luc Lagarce et on obtient lune adaptation fidèle et respectueuse qui arrive en même temps à faire transparaître la patte de son réalisateur.
Juste la fin du monde de Xavier Dolan. Avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel… 1h39
Sortie le 21 septembre 2016