Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Arthur, étudiant en école de commerce confie ses craintes à la caméra. Celle de devoir subir la pression exercée par ses parents. Le fléau d’une génération, celui de faire des études non pas qui nous plaisent mais celles qui nous assurent un futur. Une éducation privée de tout plaisir car régit par le capitalisme.
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
C’est quoi l’époque ? C’est quoi les pocks ? Rose, figure solaire de ce documentaire écrit à l’encre blanche sur son corps, sur le sol, comme pour se souvenir de ces moments. Toujours le sourire et les mots non pas pour s’armer mais pour essayer de faire évoluer les mentalités. Le réalisateur Matthieu Bareyre filme sa première rencontre avec elle, sans artifices, sans rien, juste ses paroles et ses larmes. Une scène bouleversante, centre névralgique du film.
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
L’Époque c’est aussi un rapport avec les forces de l’ordre. Un rapport de force, un rapport de domination qui se dessine à travers cette scène : un policier filme la caméra, l’air défiant, un jeu malsain s’installe. Le réalisateur filme la réalité, celle des nuits parisiennes, celle des émeutes, celle des violences policières.
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Le film donne la parole à la jeunesse, toute la jeunesse. De l’étudiant en école de commerce, au jeune qui erre sur les Champs, en passant par ceux vivant dans les quartiers difficiles. La parole est à eux, les avis convergent, divergent mais le film offre une incroyable générosité et un espace de liberté incroyable.
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Un Paris by night à mille lieux du Paris qu’on a l’habitude de connaître. La nuit les émotions sont exacerbées, les comportements aussi, une autre population investit les lieux. Cinématographiquement, Matthieu Bareyre nous transporte avec sa caméra intimiste.
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Loin d’être un simple documentaire, L’Époque peut se targuer d’être visuellement fascinant. Les visages filmés, les actes des uns et des autres mais aussi Paris. Paris est sublime de nuit et le film nous le rappelle malgré le pessimisme et la noirceur qui peut s’y cacher. Ce plan Place de la République, devenu le symbole de tout un pays, qui s’efface au gré de l’eau qui se déploie sur les pavés, comme pour nous rappeler que tout ce qu’on vit n’est finalement qu’éphémère.
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Mais L’Époque c’est une formidable ode à la liberté. À travers ses coups de matraque, ses fumigènes et ses pavés lancés, le film concentre une énergie folle et un désir furieux d’être libre, de crier, de hurler… enfin se libérer.
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Dans son rythme effréné, le réalisateur nous offre quelques pauses vivifiantes en la personne de Soall, DJ passionnée et passionnante à écouter.
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Frénétique lorsqu’elle vit de son art, Soall est une passionnée à 200%. Vivant la nuit dans ces clubs, ses sons électro qui accompagnent d’ailleurs tout le film sont le rythme cardiaque du film. Quelque chose qui bat à pleine vitesse.
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Frénésie de couleurs et d’images grâce à un montage précis avec une vraie réflexion loin d’être un simple fourre-tout. Dénué de toute logique narrative, Matthieu Bareyre capte avant tout des moments de vérité.
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Vacant de lieu en lieu, la spontanéité est ce qui fait de L’Époque un petit bijou. Le hasard et les rencontres dessinant le film au fur et à mesure. Certains portraits sont plus touchants que les autres, la longue discussion qui a eu lieu avec un jeune de Bobigny témoignant du vandalisme et de la casse est aussi fascinante que bouleversante.
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
250 heures de rushes pour seulement 1h30 de film ça peut paraître cruel (Breaking news : ça l’est) et pourtant ce film n’a jamais semblé aussi riche de paroles et de diversité. Grâce à son approche non-sociologique du sujet (un travers qui aurait vite pu affaiblir le film), L’Époque traverse les âges et les milieux sociaux avec une aisance déconcertante.
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
D’une intelligence assez rare pour le souligner, le film s’inscrit dans une réalité que non seulement nous vivons nous les jeunes mais que le film vit également. Le sujet ne se donne pas au film, c’est le film qui se donne entièrement au sujet, à son service, pour l’appuyer au mieux.
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
La caméra de Matthieu Bareyre est constamment aux abois. Tout comme la société en perpétuel mouvement notamment depuis Charlie Hebdo. Une nouvelle ère politique, sociologique et générationnelle investit les rues de la capitale et du pays entier. Avec toute l’incertitude possible et les aléas d’un tel dispositif, L’Époque capte une sincérité pure.
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Ce flot constant de jeunesse paradoxalement libre mais étriquée par la société nourrit le film. D’autant plus sur cette tranche d’âge des 18-25 ans, véritable période charnière pour la plupart des jeunes entre études, choix personnels, choix professionnels. Comment une jeunesse déjà incertaine de ses choix réussit à évoluer dans une société qui l’est tout autant ?
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
L’Époque célèbre aussi l’amour. L’amour qu’a la jeunesse pour sa liberté, l’amour entre deux personnes au coin d’une rue, l’amour des mots et des maux. Les relations qui se sont nouées tout au long du film dépasse les limites de l’objet cinématographique pour nous interpeller. À l’image de Rose qui occulte une bonne partie du film – pour notre plus grand plaisir – et qui conclue ce film avec un post Facebook qu’elle avait posté en 2016 de colère mais pas de colère de sourde, avec intelligence, elle remet en question des principes fondamentaux de la République et avec ses quelques mots, Rose se dessine comme figure de proue de ce film.
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Présent sans être présent, Matthieu Bareyre impose son regard comme un regard de cinéaste mais aussi comme le regard de quelqu’un qui fait partie de cette jeunesse et qui s’y reconnaît. Un film sur la jeunesse avide de liberté par un jeune avide de liberté. C’est ce dont nous avions besoin.
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Mal-être généralisé qui ne cesse de s’étendre depuis maintenant plus de trois ans au gré de divers noms, L’Époque condense et met en exergue une société au bord de quelque chose. Peut-être pas du gouffre mais au bord de quelque chose si bien que la grogne palpable peut exploser à tout moment.
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
“L’ombre n’existe pas sans la lumière” selon Rose. Parce que malgré son constat amer de désespoir, L’Époque est une lumière. Un phare dans cette société où nous sommes tous un peu perdus et probablement en colère pour X raisons.
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
D’une urgence permanente et émanante de son réalisateur, L’Époque rend hommage à des forces de vie sans aucune autre pareille. Entre Soall et Rose, la société n’est peut-être pas totalement perdue. Tant que des voix oseront se lever et essayer de faire bouger les choses. Tant que des cinéastes engagés continueront leurs combats à travers le films. Tant que la jeunesse veuille bien se réveiller. Tant que nous serons là…
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
L’Époque de Matthieu Bareyre. 1h30
Sortie le 17 avril