À chaque année sa flopée de prix et surtout, un constat bien général : les films à Oscar, sensation de l’année, ne sont pas – à de nombreuses exceptions près, on vous voit venir – les œuvres qui marquent réellement le public, et s’ancrent dans le temps. Souvent des métrages cochant les cases du tout hollywoodien sont avant tout des films à l’académisme ressenti, qui ne prennent que peu de risques et sont là pour flatter un jury qui a son lot de codes à respecter. C’est d’ailleurs pour cela qu’on les oublie, persuadé·es que la marque qu’ils nous laissent lors du premier visionnage sera indélébile, mais s’apercevant rapidement qu’elle est – souvent – la même à chaque étape. En 1984, si Amadeus gagne le prix du meilleur film, et que lui on ne l’oublie pas, on ne peut pas en dire autant de ses concurrents. La déchirure, La route des Indes, A soldier’s story, sont autant de titres qui sont tombés dans les archives, aux côtés de celui qui nous intéresse aujourd’hui, Les saisons du cœur.
Dans une Amérique encore meurtrie, se remettant à peine d’une crise économique drastique, et s’apprêtant à vivre une nouvelle dépression financière, la ferme d’Edna Spalding, inactive, tient en place par l’activité du mari, policier local, dont la profession permet au couple et leurs deux enfants de subsister et de rembourser le prêt conséquent qui leur permet de maintenir le toit sur leurs têtes. Aussi quand ce dernier, voulant empêcher un homme saoul de tirer à l’aveuglette avec l’arme de fortune qu’il a trouvé, se prend une balle et en meurt, c’est tout le mince équilibre familiale qui s’enfonce dans une certaine précarité. Dès lors, les corbeaux bancaires et autres rapaces convoitent la ferme, faisant pression sur la veuve en utilisant la prochaine traite du prêt afin de récupérer la propriété, et les mettre à la rue. Désormais seule et ne pouvant compter que sur elle-même, Edna se lance malgré les avertissements dans la plantation de coton, suggérée par un homme noir, Moses, lui proposant son aide contre table et logis. Un dernier compromis avec la banque la convainc d’accueillir contre loyer M. Will, un ancien militaire ayant perdu la vue, et tout ce petit microsome entreprend de faire survivre la ferme contre les éléments extérieurs.
Il faut dire que ces éléments extérieurs sont nombreux. Hors du contexte familial qui a créé la situation, et procure l’urgence, le scénario s’axe sur “Mme Spalding devient exploitante terrienne, et découvre que ce n’est pas si facile”. Le caprice des saisons, les tempêtes qui peuvent ravager les cultures, mais aussi des éléments plus humains, qui troublent le quotidien de la ferme. On voit ainsi les magouilles destinées à empêcher les récolteur·ses de coton d’accéder au terrain, les tentatives de profiter de la situation économique pour obtenir de meilleurs tarifs au dédain d’Edna, ou encore les agressions racistes que subit Moses, tant d’obstacles que la famille doit affronter, pour exister dans ce climat hostile. Du moins, c’est ce qui nous est vendu sur le papier, un amas de thématiques intéressantes, pouvant aborder de nombreux sujets dont ces réalisations calibrées pour générer du sentiment sont friandes. Les saisons du cœur, par sa façon toujours gentillette de formuler ses séquences, passe constamment à côté du grandiose, de ces grands arcs qui pourraient lui offrir une aura bien plus vive.

Sans oublier de soigner ses effets, le rendant plaisant à suivre, le film s’enferme dans son aspect plat, qui évoque des aspects importants sans jamais les développer. Si l’on pourrait lui concéder à ce titre une certaine pudeur, c’est plus dans l’agencement des séquences, ce qu’elles suggèrent et promettent au/à la spectateur·ice, que le métrage déçoit. Ainsi, la lutte pour faire subsister la ferme ne se ressent pas vraiment. Les quelques confrontations qu’Edna doit opérer envers le système bancaire se résolvent subitement, et chaque obstacle amorcé est réglé au plan suivant. On peut y voir là le cheminement d’une battante, qui s’accroche contre vents et marées, et on peut d’ailleurs le ressentir lors d’une réplique où cette dernière déclare qu’elle atteindra les délais pour sa récolte de coton, quitte à y perdre les mains ou la vie, mais tout ceci n’est pas assez appuyé pour que l’on ressente pleinement le sacrifice auquel elle est vouée. Idem quant aux tribulations de Moses, violenté au détour d’une soirée dans ce cher KKK dans une séquence où la violence n’est jamais portée par la caméra, et qui semble plus comme une case anti-raciste à cocher qu’un réel postulat. Pour le dernier protagoniste, Mr Will, une incartade avec les enfants qui trouble son confort avant qu’il ne s’y attache, et c’est tout. La force supposée vient du lien entre ces personnages, qui s’unissent pour lutter ensemble, mais ici encore, peu de moments de joie, de partage, de franche camaraderie qui nous auraient aidé à être à leurs côtés.
Dommage tant le casting n’a rien à envier aux autres. Sally Field ne démérite pas son Oscar de la meilleure actrice, dans son interprétation d’une force tranquille que rien ébranle, et au second plan, Danny Glover et John Malkovich régalent de leur présence dans les scènes qui leur sont consacrées. Les personnages tertiaires sont abandonnés en cours de route, notamment celui campé par Ed Harris dont l’arc promettait beaucoup. Des atouts solides biaisés par le manque d’ambition du métrage, qui se la joue Légendes d’automne au rabais là où l’on rêvait des Moissons du ciel.
Les saisons du coeur, de Robert Benton. Avec Sally Field, Danny Glover, John Malkovich… 1h53
Sorti le 27 février 1985